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l’homme et la terre. — la culture et la propriété

un arbre en rameaux ou en faisceaux de branches dont chacun a son propriétaire en titre — comme dans le Djurdjura berbère ou à Ceylan. Récemment, dans cette île se jugeait un procès dont l’enjeu était la propriété d’un deux mille cinq centième de dix cocotiers (Emerson Tennent).

Pareilles inventions ne semblent-elles pas imaginées tout exprès pour susciter les haines et faire naître les procès ?

Comme entre la propriété commune et la propriété privée, la guerre sévit éternellement entre la grande et la petite propriété ; non seulement elles créent chacune un groupement de classe hostile à l’autre, elles se heurtent aussi comme deux systèmes différents et ennemis. Quoique nées l’une et l’autre des appétits et des passions de l’homme, les deux formes de propriété sont présentées par leurs partisans comme des régimes à maintenir définitivement, à cause de leurs vertus essentielles. Tout d’abord, la petite propriété, qui semble plus rapprochée de l’équité naturelle, est vantée comme l’état par excellence : la famille des cultivateurs y trouve intégralement une vie de travail incessant et l’emploi régulier des heures et des journées ; même quand les champs reposent, les gens de la maison ont à s’occuper de leur bétail et de la mise en œuvre de leurs produits, ils ornent aussi leur demeure : l’art a son rôle normal dans l’existence du petit paysan. Le roman s’empare volontiers de la cabane rustique où il voit un cadre charmant pour l’idylle qu’il rêve et qui, d’ailleurs, a pu se réaliser maintes fois ; mais combien plus souvent une misère sordide s’est-elle assise au foyer, et, quand même l’humble groupe familial a la chance de jouir d’un modeste bien-être, que peut-il faire pour accroître son horizon, pour élargir ses idées, renouveler son avoir intellectuel, apprendre même ce qui se rapporte à son industrie ? La routine qui l’attache à la glèbe héréditaire le tient également enserré dans les anciennes coutumes : quoique libre en apparence, il n’en garde pas moins l’âme de l’esclave.

C’est par la prétention d’être les éducateurs en agriculture rationnelle que les propriétaires de vastes domaines cherchent à justifier l’usurpation des terres communales et privées qu’ils doivent à leur naissance, à leurs richesses héréditaires ou à leurs spéculations. En tout cas, cette prétention est déplacée chez ceux des grands seigneurs qui se gardent bien de résider sur leurs terres, comme la plupart des titulaires de domaines irlandais qui se savent haïs de leurs tenanciers. Ne serait-ce donc pas une idée purement grotesque de parler d’eux comme d’édu-