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l’homme et la terre. — la culture et la propriété

moins que les intérêts des plus riches, soutenus par le gouvernement, ne finissent par prévaloir : dans ce cas, les partages, devenant graduellement moins fréquents, sont à la fin triomphalement écartés par les propriétaires privilégiés, et le régime de la propriété privée s’établit. C’est l’évolution, qui, après s’être accomplie aux siècles précédents chez les peuples de l’Europe occidentale, s’accomplit maintenant dans le Pendjab et en diverses contrées de la Russie[1].

A la fin du dix-neuvième siècle, la Petite Russie, dont les terres fertiles sont recherchées avec convoitise, est passée au régime individualiste pour un peu plus du tiers de sa surface, tandis que la Grande Russie, pays moins fécond, est encore presque entièrement fidèle au mir avec partages périodiques[2].

Dans l’île de Java se poursuit une évolution analogue à celle de la Russie. La propriété individuelle l’emporte maintenant en étendue sur la propriété collective. Les parts fixes du sol sont devenues la règle dans 13 201 des 23 473 villages dont les rizières, les terrains vagues et les forêts appartenaient à tous les communiers[3].

Mais, en Java comme en Russie, les parts ne se « fixent » pas et les propriétés privées ne se constituent pas seulement au profit des agriculteurs : les Chinois, les Arabes, les Européens sont les principaux acheteurs du sol, qu’ils ne cultivent pas eux-mêmes. Dans les Indes, on constate une évolution identique. En Asie, comme en Europe, on a vu la même transition économique de la propriété commune au partage périodique et de celui-ci à la propriété privée. Que ce soit au Bengale ou en Scandinavie, dans l’Himalaya ou dans les Alpes, nous assistons à des transformations analogues, beaucoup plus communes qu’on ne le croit généralement. En Angleterre, c’était encore chose habituelle au xve siècle de pratiquer les partages successifs de la propriété collective entre communiers : usage connu sous le nom de running ou « danse en rond ». Bien plus, il existe encore dans la Grande Bretagne des prairies dites lammas d’après le nom anglais du 1er août, qui sont alternativement propriétés privées jusqu’à la première coupe des foins, puis propriétés collectives pendant l’automne et l’hiver, jusqu’au 25 mars[4].

  1. Maxime Kovalevsky, Le passage historique de la propriété collective à la propriété individuelle, Annales de l’Institut International de Sociologie.
  2. Terner, Wiestnik Evropi, mai 1895, p. 49, cité par Kovalevsky.
  3. Rienzi-Vankol, La Propriété foncière à Java.
  4. Thorold Rodgers, Interprétation économique de l’Histoire.