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l’homme et la terre. — la culture et la propriété

seule intermittence provenant de la guerre de Sécession, plus de la moitié du coton qui y est consommé ; au début du xxe siècle, l’Amérique du Nord entre pour plus des trois quarts dans la production mondiale. Les essais que les capitalistes d’Europe font pour secouer l’omnipotence du syndicat des planteurs des États du Sud, de la Caroline au Texas, n’ont point encore abouti à des résultats bien marqués.

Ainsi la destruction d’une part, la restruction de l’autre se produisent à la surface de la Terre, sous l’influence des passions et des intelligences en conflit. Les chercheurs d’orchidées parcourent les forêts de la Colombie et du Brésil, non seulement pour trouver à leur profit des exemplaires rares, mais pour détruire, au dommage de leurs rivaux, les fleurs précieuses qu’ils ne peuvent pas emporter. Quant aux honnêtes agriculteurs, ils suppriment les espèces par centaines, peut-être par milliers, et pour cause d’uniformité, de régularité, de méthode obligatoire dans les cultures. Le labour et la friche sont forcément ennemis. La flore des landes, celle des marais disparaissent dans les campagnes où se promène la charrue. A Chamblande, près de Lausanne, sept espèces de plantes n’ont point reparu après le défrichement. Pour la même raison, les anciennes terres marécageuses de la Prusse orientale n’ont plus ni la trapa natans, ni la betula nana, ni autres plantes, naguère très communes. Conwentz propose de garder çà et là quelques hectares de marais qui serviraient de musées botaniques aux étudiants des alentours[1].

Dans l’ensemble, les hommes ont travaillé sans méthode à l’aménagement de la Terre. Ils savaient bien quelle part du sol convenait à leurs cultures et ils la choisissaient judicieusement, mais avec quelle barbarie procédaient-ils à la préparation du terrain ! Encore maintenant, aux États-Unis, au Canada, au Brésil, des pionniers de l’agriculture commencent leur œuvre d’enrichissement de la terre par la destruction de la forêt vierge. Ils attendent la saison favorable des sécheresses pour allumer le bois et l’on voit l’incendie se propager effroyablement d’une rivière à l’autre, ou bien entre deux montagnes, brûlant en même temps les animaux, noircissant le ciel de leur fumée, livrant au vent des cendres qui se répandent jusqu’à des centaines de kilomètres. Tout est dévasté sur la terre noirâtre : à peine quelques énormes souches ont-elles résisté aux flammes, se dressant en fûts inégaux et calcinés

  1. Globus, 9 janv. 1902, p. 36.