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l’homme et la terre. — la culture et la propriété

industriel. C’est sur la vaste étendue des plateaux que parcouraient naguère les autruches sauvages, exterminées par le général Margueritte et ses compagnons de chasse, c’est dans la même région aux horizons immenses que l’on pourra, si on le désire sérieusement, et avec méthode, renouveler la race de l’autruche algérienne.

Et que dire des plus belles espèces d’oiseaux, les lophophores, et ces merveilleuses et fantastiques « lyres » volantes, que l’on croyait jadis ne pouvoir vivre que bercées par le vent et volant au soleil, vers le » paradis » ? Ces oiseaux incomparables n’avaient pu se développer dans l’Indonésie que grâce à l’absence des grands rapaces, mais l’homme, le rapace par excellence, remplace amplement les tigres et les renards. La mode féminine des chapeaux ornés de plumes, de crêtes d’oiseaux, qui prévaut depuis les dernières décades du dix-neuvième siècle, et que les mœurs démocratiques ont propagée jusque sur les coiffures des mendiantes, a eu pour résultat de faire naître une classe de commis-chasseurs voyageant de par le monde pour tuer les plus beaux volatiles et les dépouiller de leurs plumes : les maisons de commerce entrent en concurrence pour se procurer les plus adroits agents de cette œuvre funeste, qui se poursuit contre tout ce qu’il y a de plus beau, les flamants, les hérons, même contre les hirondelles, honorées d’âge en âge.

C’est de nos jours que disparait le flamant de l’Amérique du Nord. Depuis longtemps, on avait pensé que les individus rencontrés çà et là devaient provenir d’une colonie établie quelque part dans l’archipel des Bahamas. Le naturaliste Frank Chapman la chercha et finit par la découvrir en mai 1904. Usant de précautions extrêmes, il réussit à observer ces animaux admirables, les plus gros oiseaux à plumage brillant ; sans les inquiéter, il put noter leurs mœurs et prendre de nombreuses photographies ; mais si le savant avait pu se cacher de l’animal, il ne réussit pas à empêcher d’autres hommes de suivre sa trace et, dans les six mois qui suivirent son expédition, les flamants disparurent presque tous sous la dent du chasseur[1].

La chasse aux « aigrettes », bien plus que les gisements d’or, telle fut la raison des conflits diplomatiques suscités entre la Grande Bretagne, le Venezuela et le Brésil, à la fin du dix-neuvième siècle. On parlait

  1. Century Magazine. — National geographical Magazine. Jan. 1905.