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féminisme

est absolu, et nulle de celles qui se vengent à l’occasion ne saurait être condamnée, puisque les premiers torts sont ceux du privilégié. Mais d’ordinaire, la femme ne se venge point ; dans ses congrès elle fait, au contraire, un appel naïf aux législateurs et aux gouvernants, attendant le salut de leurs délibérations ou de leurs décrets. D’année en année, l’expérience leur apprendra pourtant que la liberté ne se mendie point et qu’il faut la conquérir ; elle leur enseignera en outre que leur cause se confond virtuellement avec celle de tous les opprimés quels qu’ils soient ; elles auront désormais à s’occuper de tous ceux auxquels on fait tort, et non pas seulement des malheureuses femmes obligées par la misère à vendre leur corps. Unies les unes aux autres, toutes les voix des humiliés et offensés tonneront en un formidable cri qu’il faudra bien entendre.

Il n’y a point à s’y tromper. Ceux qui recherchent la justice n’auraient aucune chance de pouvoir l’emporter un jour, aucun rayon d’espoir qui pût les réconforter dans leur misère si la ligue de toutes les classes ennemies se maintenait sans défections, si elle se présentait solide comme le mur vivant d’un carré d’infanterie. Mais de leurs rangs sortent d’innombrables transfuges, les uns qui s’en vont, sans hésitation, grossir le camp des révoltés, les autres qui se dispersent çà et là, plus ou moins rapprochés du groupe des novateurs ou de celui des conservateurs, mais en tout cas trop éloignés de leur lieu d’origine pour qu’on puisse les rappeler au moment de la bataille. Il est tout naturel que les corps organisés s’appauvrissent ainsi de leurs meilleurs éléments par un continuel mouvement de migration. L’étude des faits et des lois que la science contemporaine révèle dans leur enchaînement, les rapides transformations de l’état social, les conditions nouvelles de l’ambiance, le besoin d’équilibre moral chez les êtres qu’attire logiquement la recherche de la vérité, tout cela crée aux jeunes un milieu complètement différent de celui que comporte un organisme traditionnel à lente et pénible évolution. Il est vrai que les représentants des antiques monopoles ont aussi leurs recrues, surtout parmi ceux qui, las de souffrir pour leurs idées, veulent enfin tâter des joies et des privilèges de ce monde, manger à leur faim et vivre à leur tour en parasites. Mais quelle que soit la valeur particulière de tel ou tel individu qui change d’idéal et de pratique, il est certain que l’armée de l’attaque révolution-