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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

n’ont-ils pas le souvenir de leurs victoires, surtout de celles qu’ils ont remportées sur leurs voisins les plus proches, les Français ! Que de batailles heureuses pendant la série des siècles écoulés, « Crécy, Poitiers, Azincourt, Ramillies, Malplaquet, Trafalgar, Waterloo » ! liste dangereuse à enseigner aux enfants : devenus hommes, ils croient que la guerre c’est la victoire toujours et la victoire en pays étranger, sans qu’une chaumière anglaise en soit ruinée, sans même qu’une haie anglaise soit renversée[1]. Puis l’acquisition graduelle de l’empire colonial, devenu tellement formidable aujourd’hui que sa population est décuple de celle du pays dominateur, fit pénétrer peu à peu dans l’esprit des Anglais cette idée que le monde entier leur serait tôt ou tard dévolu comme une proie. A leur orgueil tranquille d’insulaires surhumains, s’ajoute la conscience de la domination mondiale, l’ « impérialisme » dont le fastueux Disraëli, sacrant la reine Victoria impératrice des Indes, fut le grand protagoniste. Les fêtes du « jubilé », célébrant, en juin 1897, les soixante années du règne heureux, furent vraiment considérées par la majorité des spectateurs comme une sorte de cérémonie ayant un caractère à la fois national et religieux, la Providence étant manifestement intervenue pour donner à la reine une longue vie triomphante et lui assurer la prééminence parmi les souverains. On s’imagina même que la république américaine, avec ses quatre-vingts millions d’habitants dont une habitude de langage fait autant d’ « Anglo-Saxons », s’associait volontiers au grand hommage et que l’union était faite désormais entre tous ceux qui parlent la langue de Wellington et de Washington.

Mais, comme toujours, l’orgueil marchait devant l’écrasement. Les deux républiques des Boers, l’Orange et le Transvaal, enclavées en entier dans les possessions britanniques, habitées par une population qui recevait d’Angleterre la plus grande partie de ses objets de consommation et dont la langue même disparaissait de plus en plus devant l’anglais pour ne garder que son caractère officiel, ces républiques ne devaient-elles pas reconnaître aussi la suprématie de l’Angleterre et s’englober dans son domaine immense, d’autant plus que les capitaux anglais leur faisaient l’honneur d’exploiter leurs mines d’or et d’élever au-dessus des puits et des galeries d’extraction la cité splendide de

  1. Paul Mantoux, Pages libres, 22 mars 1902, p. 255.