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évolution et révolution

trielles ou déchéances politiques, appauvrissement et dépeuplement, ou bien qu’un ouragan politique et social passe brusquement sur la contrée en laissant derrière lui une traînée de ruines et de cadavres, le résultat est le même dans son ensemble. Le langage de l’histoire est catégorique en cette matière. Ou la mort, comme autrefois pour la Chaldée, l’Elam, la Bactriane, ou la transformation pénible, violente, douloureuse pour toutes les nations modernes, qui ne peuvent périr parce qu’elles s’entr’aident quand même, tout en s’entre-dévorant dans la concurrence vitale ! Il ne peut y avoir d’autre issue aussi longtemps que l’Etat, représenté par le pouvoir personnel d’un ou de plusieurs individus, ou même d’une classe entière, gardera le droit éminent de se considérer comme éducateur de la nation, car, cette éducation, il la fera toujours à son propre avantage, même avec la parfaite illusion de se « dévouer au bien du pays ». Il se produit une division du travail paraissant toute naturelle à ceux qui désirent le maintien des anciennes prérogatives : d’un côté le devoir de gouverner, de l’autre celui d’obéir. Mais ceux qui se chargent de « conduire le char de l’Etat » devraient tout savoir, tout prévoir, tout organiser ; or les sujets, qui s’éduquent aussi, constatent les erreurs commises par leurs maîtres, récusent cette division du travail et s’appliquent à la renverser.

Les journées de Juillet ne furent-elles pas la conséquence forcée des « ordonnances » et de tout le régime d’oppression qui avait amené le conflit ? La guerre franco-allemande ne fut-elle pas, de choc en choc et de vicissitude en vicissitude, la conséquence naturelle des deux empires napoléoniens renversant les deux républiques françaises ? Et, dans les premières années du vingtième siècle, la Russie n’aurait pas eu à soutenir le choc des armées japonaises si elle ne s’était, en violation de toutes promesses, emparée d’une province chinoise, se riant des naïfs qui pouvaient croire à sa parole. C’est donc bien à tort que l’on voit simplement dans les révolutions l’effet d’un instinct de destruction qui agiterait les masses populaires et les porterait à détruire. Sans doute, cet instinct existe, tous les éducateurs ont remarqué combien il est impérieux chez les enfants, amoureux nés du renouvellement. Il ne faut pas oublier que « vivre, c’est agir », et que « la destruction est la forme la plus facile de l’action » (Anatole France) ; mais il n’y a pas que l’instinct, il faut tenir compte surtout de la volonté collective provenant des conditions générales de la société.