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la famille et l’état

manière qu’on les voit en petit. L’autorité qui prévaut dans le gouvernement correspond à celle qui sévit dans les familles, mais d’ordinaire, il faut le dire, en moindres proportions, car le gouvernement n’a pas sur les individus épars la même force de pression que le conjoint sur le conjoint qui vit sous le même toit.

Conformément à cette pratique des familles, qui s’est naturellement transformée en « principe » chez tous les intéressés, le gouvernement s’est donc constitué dans toutes les parties du genre humain qui vivent séparées les unes des autres, en corps politiques distincts. Les causes de ce partage varient et s’entremêlent : ici la différence des langages a limité deux groupes ; ailleurs les conditions économiques provenant d’un sol particulier, de productions spéciales, de voies historiques autrement dirigées ont tracé la frontière : puis sur toutes les causes premières, naturelles et d’évolution successive, sont venus broder des conflits, qu’une société autoritaire doit justifier partout et toujours. Ainsi, par le jeu incessant des intérêts, des ambitions, des forces attractives et répulsives, des États se sont délimités, prétendant, en dépit de leurs vicissitudes incessantes, à une sorte de personnalité collective, exigeant même de la part de leurs ressortissants, un sentiment particulier d’amour, de dévouement, de sacrifice qu’on appelle le « patriotisme ». Un conquérant passe, démarquant les frontières et, du coup, les sujets ont, de par l’autorité, à modifier leurs sentiments, à s’orienter vers un nouveau soleil.

De même que la propriété est le droit d’user et d’abuser, de même l’autorité est le droit de commander à tort ou à raison. C’est bien ainsi que l’entendent les maîtres, et c’est également ainsi que le comprennent les gouvernés, soit qu’ils obéissent servilement, soit qu’ils sentent l’esprit de révolte se réveiller en eux. Il est vrai que les philosophes ont vu tout autre chose dans l’autorité. Désireux de donner à ce mot une signification qui le rapproche du sens primitif, analogue à celui de création, ils nous disent que l’autorité réside dans quiconque enseigne à qui que ce soit quelque chose d’utile, qu’il s’agisse du premier des savants ou de la dernière des mères de famille[1], et, même d’aucuns vont jusqu’à considérer le révolutionnaire qui se redresse contre le pouvoir comme le véritable représentant de l’autorité.

  1. Saint-Yves d’Alvaydra, La mission des Juifs, p. 41.