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l’homme et la terre. — l’état moderne

de la grande vie universelle. D’ailleurs, si jalousement que se cachent ces peuplades auxquelles suffit le petit cercle héréditaire, les chercheurs de la science les ont découvertes et les font entrer dans l’ensemble de l’humanité en étudiant leurs formes, leur genre de vie, leurs traditions et les classant dans la série dont elles étaient un groupe ignoré.

La tendance instinctive de toutes les nations à prendre part aux affaires communes du monde entier s’est manifestée déjà en maintes circonstances de l’histoire contemporaine. Ainsi l’on vit en l’année 1897 les six grandes puissances européennes, chacune peut-être avec une pensée secrète mais toutes avec la prétention de maintenir l’équilibre européen, satisfaire à la fois la Turquie et la Grèce, tout en fusillant quelques malheureux Crétois, des « frères en Christ », puisque l’ « ordre public » le voulait ainsi. Malgré l’écœurant spectacle que présentait ce grand déploiement de force contre un petit peuple réclamant que justice lui fût rendue, ce n’en fut pas moins un fait politique tout à fait nouveau et suggestif que l’union de ces soldats et marins de diverses langues et nations, se groupant en détachements alliés sous les ordres d’un chef tiré au sort parmi Anglais et Autrichiens, Italiens, Français et Russes. Ce fut un événement d’un caractère international, unique jusqu’alors dans l’histoire par la précision méthodique avec laquelle on l’appliquait. Il restait désormais prouvé que l’Europe est bien dans son ensemble une sorte de république d’Etats, unis par la solidarité de classe. La caste financière qui règne de Moscou à Liverpool avait fait agir les gouvernements et les armées avec une discipline parfaite.

Depuis, l’histoire nous a présenté plusieurs autres exemples de ce Conseil des nations qui se constitue spontanément dans toutes les graves circonstances politiques ; les intérêts de tous étant en jeu, chacun veut avoir sa part dans les délibérations et ses avantages dans le règlement. En Chine, par exemple, la fédération momentanée qui se produit entre nations est assez étroite pour réunir les militaires représentants de tous les États dans une œuvre commune de destruction et de massacre ; ailleurs, au Maroc, notamment, les agissements communs se bornent pour un temps à des confabulations diplomatiques, mais quoi qu’il en soit, le fait reste bien acquis. Les États ont la conscience très nette de la répercussion sur leur propre destinée de tous les faits qui se produisent, en n’importe quel lieu du monde et, de leur mieux, ils