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l’homme et la terre. — le nouveau monde et l’océanie

Les matelots polynésiens sont très justement appréciés, et le baleinier Bullen[1] dit combien il eut à se louer d’eux et parle avec le plus grand éloge de ses compagnons canaques, natifs de Vau-Vau, dans l’archipel des Amis (Tonga). Grands, forts, adroits, serviables, toujours francs et joyeux, d’un courage enthousiaste, sobres et véridiques, ils étaient de beaucoup supérieurs, en moyenne, physiquement et moralement, à leurs camarades d’origine européenne.

En cette nouvelle période d’adaptation à l’ambiance européenne, plusieurs exemples récents nous montrent heureusement que la prétendue loi de dépérissement racial est souvent en défaut. Les statistiques relevées par les soins du médecin Gros, dans les îles australes et de la Société[2], établissent que, depuis la grande épidémie de rougeole, qui, en 1854, enleva huit cents personnes à Taïti, la population indigène et métissée n’a cessé d’augmenter régulièrement chaque année. Les relevés de l’Etat civil constatent aussi des augmentations dans Bora-Bora, la grande Tubiaï, et, d’après le dire des indigènes, Rorutua et Rimatava s’accroîtraient également en population. M. Paul Huguenin nous dit aussi que la population de toutes les Iles-sous-le-Vent, sauf Haahine, est en augmentation considérable depuis 1834. Enfin, l’île de Rapa, que d’anciens travaux de culture et d’irrigation prouvent avoir été jadis très peuplée, mais qui ne comptait pas plus de 70 habitants en 1851, avait plus que doublé, presque triplé le nombre de ses résidants quarante années après, et sans qu’un seul immigrant, à l’exception d’un gendarme — représentant de la République Française —, fût venu résider dans l’île : en 1891, on comptait 191 citoyens de Rapa. Nul doute qu’avec l’aide du travail régulier, d’une bonne hygiène, d’une surveillance plus étroite des maladies contagieuses et d’une accommodation plus complète au milieu de civilisation nouvelle, la population ne parvienne à se rétablir en son état normal, même dans les îles où la phtisie règne d’une manière endémique ; mais la dépopulation continuera naturellement dans les archipels dont les habitants sont enlevés de vive force sous prétexte d’ « engagements volontaires », car l’esclavage est une autre et la pire forme de la mort.

Rien ne se perd, nous dit-on ; mais il est certain que, d’avatar en avatar, de désintégrations en intégrations nouvelles, les choses de l’avenir

  1. Frank T. Bullen, The Cruise of the « Cachalot », 2e vol.
  2. Bulletin de la Société d’Anthropologie de Paris, 1896, fascicules 2 et 3, séance du 20 février 1896.