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l’homme et la terre. — l’angleterre et son cortège.

contradictoire à certains égards, puisqu’il s’agit en même temps de sauvegarder l’insularité farouche de la patrie et d’entretenir des relations de plus en plus actives avec les colonies, en s’assurant des moyens de conquête et de domination sur des tributaires parsemés dans toutes les parties de la Terre. L’Anglais patriote doit se répéter en toute conviction la parole du Romain : « Souviens-toi que tu es né pour commander aux peuples ! »

Il est intéressant de voir avec quelle majesté tranquille les Anglais, pénétrés de leur mission providentielle, en étaient arrivés à parler de l’infinie supériorité de leur rôle comparé à celui des autres nations ; toutefois leur langage, il faut le dire, se modéra quelque peu pendant la guerre du Transvaal, qui eut pour conséquence de montrer à l’Angleterre l’insuffisance de son outillage militaire relativement à la grandeur de ses ambitions. Mais ces trois années de lutte n’ont été qu’un temps d’arrêt, et la Grande Bretagne, reprenant confiance, recommence à se dire prédestinée à l’hégémonie du monde : « A ceux qui croient que l’empire anglais est, après la Providence, le plus grand instrument de bien… ce livre est dédié ! » Telle est la dédicace de l’ouvrage d’un ancien vice-roi des Indes. De même, le fameux Cecil Rhodes, qui gagna comme en se jouant des centaines de millions, consacrés par lui dans son testament à l’accroissement de l’influence britannique, pose comme principe absolu, comme point de départ de sa conduite : « J’établis en fait que nous sommes la première race du monde, et que plus nous y occuperons d’espace, plus l’humanité en aura de profit. »

Animée du même esprit, une société de professeurs, de journalistes, de diplomates et de banquiers patriotes s’était fondée pour constituer un ordre sur le modèle de la compagnie de Jésus, ayant pour seul objectif d’augmenter la force et le prestige de la Grande Bretagne, comme les Jésuites s’efforçaient de travailler à la domination de l’Eglise : il s’agissait de rebâtir la « cité de Dieu » au profit des Anglais, ses élus. Evidemment, les colonies de langue anglaise, haut Canada, Cap, Australasie faisaient partie de la grande confédération projetée ; mais, en outre, la branche la plus puissante de ce que l’on appelle si faussement la race « anglo-saxonne », la république des États-Unis, devait entrer dans la ligue panbritannique, puisque les citoyens qui la composent parlent aussi la langue anglaise. Toutefois, une question des plus épineuses se