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l’homme et la terre. — contre-révolution

gnie de son ami Bonpland (1799), et put accomplir ce mémorable voyage dans l’Amérique équinoxiale et sur le plateau mexicain, qui fut une véritable révolution dans la connaissance de la Terre et des hommes.

Evidemment l’évolution naturelle devait tendre à séparer de l’Espagne ses colonies américaines comme elle avait séparé de la Grande Bretagne les treize groupements politiques devenus les États-Unis. Au sud comme au nord du double continent, les descendants des Européens subissaient avec rancœur et mépris les ordres qui leur venaient de la mère-patrie, devenue pour eux l’étranger, malgré la communauté de la langue et des traditions ; privés de toute initiative dans la gérance de leurs intérêts locaux, ils n’acceptaient qu’avec rage et le sentiment de leur droit violé la direction des personnages inexpérimentés et incompétents qu’on leur envoyait d’Europe, principalement pour se faire une grosse fortune dans leur proconsulat ; mais dans les contrées de l’Hispano-Amérique, ces groupes de mécontents étaient restés pendant trois siècles trop peu nombreux et trop clairsemés pour que leurs sentiments tacites pussent se transformer en un grand mouvement de révolte collective. La tension des esprits n’était pas assez puissante encore ; la vapeur contenue n’était pas arrivée à une pression suffisante pour vaincre la résistance des parois solides qui l’enfermaient. D’ailleurs, la situation se trouvait particulièrement compliquée dans l’Amérique espagnole par ce fait, que les blancs peu ou point civilisés, qu’ils fussent Espagnols ou créoles, s’y trouvaient en contact plus ou moins immédiat avec les populations autochtones qui constituaient la masse de la nation et contrastaient avec eux par les langues, les traditions, les conditions économiques, l’état intellectuel et moral.

Les Hispano-Américains étaient donc en présence de difficultés capitales que n’avaient pas rencontrées les Anglo-Américains dans leurs premières tentatives d’indépendance politique. Même par un singulier enchevêtrement des forces en lutte, les révolutions de l’Amérique espagnole, très multiples dans leurs origines et leurs manifestations, prirent en maints endroits un caractère nettement clérical et rétrograde : ce furent tout d’abord autant de contre-révolutions. La désagrégation politique et militaire qui se produisait alors dans l’état de la péninsule Ibérique ayant pour conséquence forcée de livrer à elle-même chacune