Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome V, Librairie universelle, 1905.djvu/93

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
88
l’homme et la terre. — contre-révolution

qui s’avançaient prudemment dans ces redoutables défilés, où, quelques années auparavant, tant d’autres Français avaient été massacrés. Mais cette fois les envahisseurs étaient favorisés par le clergé, et l’  « armée de la foi », formée de bandes recrutées çà et là dans les villages, autour des couvents et des églises, leur ouvrait les chemins. En moins de dix mois, la campagne était terminée : l’armée française s’était emparée de Cadiz en délivrant le roi de la captivité respectueuse à laquelle il était soumis, et de nouveau le malheureux, rendu à son instinct de brutalité féroce et protégé par une armée d’occupation qui le défendait contre son propre peuple, put se livrer avec joie à la persécution de ses ennemis. Mais la désorganisation financière et administrative ne fit que s’accroître ; l’Espagne eut même à subir la honte de voir les corsaires d’Alger capturer ses navires et dévaster ses côtes sans qu’il lui fût possible de se défendre.

La détresse de la monarchie espagnole se compliquait des guerres extérieures qu’elle avait alors à soutenir contre ses colonies d’Amérique. On sait avec quelle âpreté jalouse les successeurs de Charles-Quint avaient veillé sur leurs possessions d’outre-mer. Ils avaient tâché de faire les ténèbres et le silence sur ces territoires immenses et n’en exploitaient eux-mêmes les richesses que par un strict monopole attribué à quelques maisons financières, qui étaient également soumises à une soupçonneuse inquisition. Cartes, plans, statistiques, documents d’histoire et d’ethnologie étaient scrupuleusement cachés dans les archives, et peine de mort était prononcée non seulement contre les pirates qui violaient les côtes défendues mais aussi contre les naufragés qu’y jetaient les accidents de mer. Ce ne fut pas donc l’un des moindres triomphes de l’esprit philosophique du dix-huitième siècle que l’autorisation gracieuse donnée à des astronomes français de mesurer un arc de méridien sur le plateau des Andes équatoriales et, plus tard, la licence de voyages d’exploration concédée à des Espagnols et à des étrangers. C’est ainsi qu’on vit un Félix de Azara, envoyé spécialement pour délimiter les frontières hispano-portugaises, s’occuper cependant de la géographie des contrées platéennes, des mœurs de la population, des animaux et des plantes de la pampa, puis publier ses recherches en de grands ouvrages destinés au public. De même, les Néo-Grenadins Mutis et Caldas, les Espagnols Ruiz et Pavon s’occupèrent de l’histoire