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l’homme et la terre. — la révolution

Amaru « Couleuvre resplendissante » et qui éclata en 1780, deux années avant que l’indépendance des Etats-Unis d’Amérique fût définitivement reconnue, ce n’était nullement une révolte ayant pour objectif l’émancipation nationale : quoique provoquée par un insupportable régime d’oppression, ce ne fut au fond qu’une guerre dynastique, dont le but était simplement un changement de maître, par la reconstitution du pouvoir des Inca. Les conditions mêmes de cette insurrection, d’ailleurs très rapidement et très atrocement réprimée, prouvent combien les milieux de l’Amérique septentrionale et de l’Amérique du Sud étaient alors peu comparables entre eux. Tandis que les colons de langue anglaise, ayant fait autour d’eux la place nette d’indigènes, n’avaient nullement à craindre une ligue de tribus indiennes qui pût mettre en péril leur absolue domination, les descendants des conquistadores vivaient au contraire dans toutes les parties de leur immense domaine au milieu de la foule des populations asservies : ils se trouvaient immédiatement en face d’un élément ethnique mû contre eux par la haine et la rancune, et moins ennemi de l’Espagne lointaine que des fils de l’Espagne, ses oppresseurs directs. C’est par une confusion de perspective, due au voisinage des deux continents américains, que des écrivains ont cherché des causes analogues pour des mouvements d’origine tout à fait distincte. En tout cas, l’influence des idées qui s’étaient élaborées dans l’Europe occidentale pendant le dix-huitième siècle n’y fut absolument pour rien.

Là où le contre-coup de la Révolution française se fit sentir d’une manière directe et puissante, ce fut dans la grande île désignée à cette époque sous le nom de Saint-Domingue et dans les autres Antilles appartenant politiquement à la France. C’est dans l’île d’Española, on le sait, et dès les premières années de l’occupation castillane, que des nègres africains avaient été introduits comme esclaves. En 1617, l’importation annuelle des noirs, régularisée par un édit, s’élevait à quatre mille par an, et dès l’an 1522, ils étaient assez nombreux sur les plantations de don Diégo Colon, fils de l’amiral, pour ravager la colonie. On a souvent répété, pour excuser les planteurs, que le travail de la terre était impossible aux blancs sous le soleil des Antilles ; mais cette affirmation est inexacte, ainsi que l’ont démontré les propriétaires eux-mêmes, en important des « engagés » blancs, qu’ils demandaient à la mère-patrie, et qui, en échange des dépenses d’entretien et de quelque menu salaire, promettaient de travailler pour leur patron pendant un certain nombre