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l’homme et la terre. — la révolution

solidarité : l’intense mouvement de réaction qui s’était produit en Angleterre se reportait sur la France pour la ramener également en arrière. Il semble, au premier abord, que ce soit un paradoxe de voir les causes principales de l’avortement qu’eut à subir la Révolution dans la conquête de l’empire Indien par la compagnie des Indes et, d’une manière générale, dans le parasitisme colonial de l’Angleterre, avec ses conséquences forcées, la destruction des ennemis indigènes et l’esclavage des noirs. Et cependant cette affirmation s’appuie sur des faits indéniables. Parmi tant de raisons qui firent dévier l’esprit révolutionnaire et le lancèrent dans la voie fatale de la guerre à outrance et de la conquête, la plus importante ne fut-elle pas l’attachement inébranlable de l’Angleterre à tout le vieux régime du droit divin et des privilèges seigneuriaux ? N’est-ce pas là, grâce à la domination des mers et aux bénéfices du commerce, que l’Europe monarchique trouva le solide point d’appui qui finit par lui amener la victoire ? Et cette force réactionnaire, où l’aristocratie anglaise l’avait-elle trouvée, sinon dans la complicité que lui avait fournie le peuple même, perverti par ses victoires dans les régions lointaines, par la gloire militaire, par les guerres de course et toutes les infamies du parasitisme colonial ? Les grands crimes commis par la traite d’Afrique et par l’exploitation outrancière d’Asie avaient fait déchoir le peuple à souhait depuis la période révolutionnaire du dix-septième siècle, et ce recul permettait aux nobles anglais d’employer contre une deuxième Révolution la nation même qui avait accompli la première.

Il est remarquable, en tous cas, que la Révolution se soit faite en France alors seulement qu’elle avait perdu toutes ses colonies.

L’empire d’Allemagne pouvait, par sa masse même, résister très énergiquement aux armées républicaines qui luttaient pour la possession de la vallée du Rhin. De ce côté, la guerre eut des alternatives diverses, mais le résultat général du conflit devait développer dans les populations germaniques un mouvement d’unité patriotique analogue à celui qui s’était produit en France. Ne fût-ce que par le choc et le tassement, le chaos se régularisait quelque peu à peu. A la fin du dix-huitième siècle, la Révolution française avait trouvé le Saint-Empire composé de dix-neuf cents États, grands et petits, si l’on énumère à part tous les fiefs de la noblesse réputée maîtresse absolue chez elle[1].

  1. A. Himly, Histoire de la formation territoriale des États de l’Europe centrale, t. I, pp. 273 et suiv.