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l’homme et la terre. — la révolution

Révolution française, il n’avait aucune raison de durer, et certainement l’avenir n’y reviendra point. L’an 1er de la République ne fut pas l’avènement d’une nouvelle humanité, débarrassée des préjugés traditionnels et vivant heureuse en tout esprit de justice et de paix fraternelle : l’âge d’or toujours attendu, toujours retardé, n’avait point encore surgi cette fois ; la lueur fugitive que l’on avait aperçue n’était qu’une fausse aurore. L’ère républicaine remplaçant l’ère chrétienne n’était qu’une illusion succédant à une autre illusion. Aucune révolution, si importante qu’elle soit, en son idéal et en ses conséquences réalisées, ne détache le genre humain de son passé, et la mission de l’histoire consiste précisément à montrer le déroulement systématique des événements à travers le cycle des âges, de même que leur répercussion de peuple en peuple à travers la surface terrestre. L’ère vraie, encore à trouver, est celle qui déterminera scientifiquement les dates précises du fait connu le plus ancien dans les annales de l’humanité[1].

La répercussion du grand drame de France sur les autres contrées de l’Europe et du monde fut très diverse, suivant les milieux. Rude était la secousse, et tandis que certains États, comme la Grande Bretagne, exaspéraient leur résistance devant le danger, d’autres, profondément ébranlés, devaient s’accommoder au nouvel ordre de choses, se conformer à de nouvelles répartitions géographiques : au vieil équilibre instable en succédait forcément un nouveau, mieux en rapport avec les conditions ambiantes.

C’est ainsi que la Belgique entra dans le remous révolutionnaire. Ancienne dépendance contre nature de l’Espagne, que celle-ci, par suite de l’impossibilité matérielle des relations à travers le territoire de la France, avait dû transmettre à son alliée, la non moins catholique et dévotieuse Autriche, la Belgique avait aussi fait sa révolution quelques mois après la prise de la Bastille. Ramenée de force sous la domination impériale, elle avait été envahie dès 1792 par les armées républicaines pour devenir un grand champ de bataille, où se disputaient, en sol propice, les destinées de l’Europe. Quant à la Hollande voisine, les jours n’étaient plus où elle pouvait se mesurer victorieusement avec les flottes de la France et de l’Angleterre. Le vieil esprit républicain avait disparu,

  1. Voir à ce sujet : Nouvelle proposition pour la suppression de l’ère chrétienne. Temps nouveaux, 6 mai 1905.