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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

esprit belliqueux et les appellent Ou-hang ou « Brutes », les accusant de ne bien savoir que deux choses, donner un coup de sabre et « faire poum », c’est-à-dire décharger des armes à feu[1]. En effet, pendant la guerre de 1895, ils ont dû expérimenter sur eux-mêmes qu’ils ne s’étaient pas trompés sur les talents homicides de leurs rivaux. Et, jugés par les praticiens et les stratégistes, les officiers japonais se sont montrés certainement, par la précision et la solidarité de leurs mouvements, par les combinaisons savantes de leurs opérations, supérieurs de beaucoup à ceux auxquels avait été confié naguère le maniement des grandes armées dans les Balkans et en France.

Il est à craindre, tant les hommes sont encore soumis à la folie des haines nationales, il est à craindre que ces aligneurs de soldats et pointeurs de canons aient encore à faire preuve de leur science, mais pour longtemps, la susceptibilité de la Russie sur sa frontière d’Extrême Orient est endormie par le renouvellement qui se produit en ses provinces européennes.

Japonais et Chinois restent seuls face à face en Mandchourie ; quant à la Corée, à peine peut-on en compter les habitants : sans doute ils devraient s’appartenir et n’avoir à craindre ni maîtres du sud ni maîtres du nord ; mais, accoutumés à une servile obéissance envers leurs propres fonctionnaires et employés impériaux, ils ne sont point un peuple. Certes, la Corée est une individualité géographique bien délimitée par sa forme péninsulaire et par les massifs montagneux qui la séparent de la Mandchourie. Il eût donc été tout naturel qu’elle se constituât en État distinct ou du moins qu’elle reprît son unité nationale après l’avoir perdue provisoirement à la suite d’invasions armées. D’autre part, la Corée présente des traits particuliers qui l’exposèrent de tout temps à de grands dangers politiques et à la perte ou à l’amoindrissement de son indépendance. Comme l’Italie, à laquelle le Cho-sen ou « Pays de la Paix Matinale » ressemble par sa forme, ses dimensions, son climat, ses produits, ses bons ports, la presqu’île coréenne est très longue en proportion de sa largeur, et les saillies montagneuses de ses « Apennins » la divisent en bassins séparés où se sont cantonnés souvent des princes en lutte ; encore comme en Italie, les riches vallées de la Corée du centre et du midi ont attiré les envahisseurs du Nord, nomades mieux dres-

  1. Villetard de Laguérie, La Corée, p. 16.