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l’homme et la terre. — la révolution

quatre saisons, soit des solstices de l’hiver ou de l’été, soit encore des équinoxes du printemps ou de l’automne. La Révolution française prit son point de départ à ce dernier changement de saison, au premier vendémiaire, date qui devait en même temps rappeler aux âges futurs la proclamation de la République française. Cependant, la plupart des tribus primitives, et l’on peut le dire, tous les hommes obéissant à leur instinct naturel placent le premier jour de l’année aux premiers jours du printemps ou « prime-temps » et fêtent alors le « renouveau ». La division de l’année en mois inégaux n’est pas moins bizarre. Pourquoi cette différence de jours — 28, 29, 30 et 31 —, différence qui n’est fondée sur rien, et qu’on se rappelle non par une raison logique de quelque nature que ce soit mais par des moyens mnémotechniques plus ou moins étranges ? Ne serait-il, pas naturel, comme le firent les mathématiciens novateurs de la Révolution, de donner à chaque mois le même nombre de jours — trente, groupés en trois décades —, et d’ajouter à la fin de l’année les cinq ou six jours réglementaires qu’exige la position respective de la planète, du soleil et du monde stellaire ? Quant aux noms de ces mois, survivances du calendrier romain, ne devraient-ils pas être changés, non seulement au nom du bon sens, mais aussi à celui de la dignité humaine ? Car s’il est absurde d’appeler septembre le « neuvième » mois, et ainsi de suite jusqu’à décembre ou « dixième », qu’est le douzième mois ? Il est vraiment bas de continuer dans nos langages les pratiques de flatteries qu’avaient inventées des courtisans agenouillés devant le conquérant Jules César et le tout-puissant Auguste. Enfin, importe-il de conserver l’ancienne division chaldéenne des mois en semaines ou groupes de sept jours, dont le rythme est indépendant de celui des années, et ne faut-il pas changer la nomenclature des jours, empruntés sans aucune méthode aux mythologies d’autrefois, naturiste, latine et chrétienne ?

La Révolution française résolut cette question du calendrier par les soins du mathématicien Romme. Se dégageant avec fierté de la « routine chrétienne », la nation « inscrivit la République dans la géométrie céleste » (M. Chelet), tandis que le chansonnier Fabre d’Eglantine, élevé au-dessus de lui-même par le souffle de l’Heure (Laurent Tailhade), inventa pour désigner les mois en appellations magnifiques ces vocables superbes qui forment, à eux seuls, tout un poème : « Vendémiaire, Brumaire, Frimaire, Nivôse, Pluviôse, Ventôse, Germinal,