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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

entre les champs ; même en territoires de montagnes on avait fréquemment remplacé des chemins par des escaliers attaquant de front les escarpements : des centaines, des milliers de marches mènent de la plaine inférieure aux pâturages d’en haut, arrosés par les pluies ou striés de neiges. Sur la route principale qui réunit la vallée de Ouan, sur le Yang-tse, à Tcheng-tu, la capitale du Szetchuen, toutes les escalades de monts se font ainsi par des marches de granit étagées sur le flanc des rochers : le col de Chen-kia-tchao, haut de 835 mètres, présente une superbe volée de cinq mille gradins[1].

La transformation de tout cet antique outillage, transformation qui a duré des siècles en Europe et qui sera dans l’empire du Milieu l’œuvre de quelques décades, nécessitera certainement dans un avenir très prochain le rattachement direct de l’Europe à l’Asie d’Orient par les voies qui passent au nord et au sud du Tian-chan. Les antiques chemins des caravanes de la « Soie » et du « Jade » se rouvriront sous une forme moderne, ayant toutes pour objectif la Chine centrale, dont le point vital par excellence est le coude supérieur du Hoang-ho, au grand tournant de Lan-tchéu. En dépit de sa politique d’isolement jaloux, et contrairement à la volonté de ceux qui la gouvernent, la Russie deviendra forcément le lieu de passage le plus actif entre les deux moitiés de l’Ancien Monde. Cette même contrée, qui, jusqu’à une époque récente, était murée, pour ainsi dire, sans libres communications avec la mer, possédera désormais les principaux carrefours de la grande voie internationale entre l’Occident et l’Orient : d’avance on peut désigner ces points vitaux[2].

Mais au point de vue politique, ne voit-on pas aussitôt que cette attribution économique à la Russie des voies de communications trans-asiatiques aura pour conséquence d’exposer aux entreprises de l’empire occidental toute la partie de la Chine au nord du fleuve Jaune. En effet, la capitale actuelle de la Fleur du Milieu est située à l’extrémité septentrionale de la Chine proprement dite, au point de croisement formé par deux grandes voies, celles qui descendent de la Mongolie et de la Mandchourie vers les plaines du Peï-ho et du Hoang-ho. Les nécessités de la défense le voulaient ainsi, mais les Chinois se trouvent aujourd’hui en face d’un ennemi qui peut les attaquer non seulement de front, par la Mandchourie et la Mongolie, mais aussi de flanc par les chemins qui

  1. Isabelle Bishop, Journal of the R. Geographical Society, July 1897, p. 21.
  2. Voir Carte à la page 523.