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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

est pourtant considérée comme un fait matériel et indiscutable : on nous dit qu’en l’année 1897, le consul général de Russie établi à Kachgar disposait en réalité, grâce à sa petite troupe de 64 Cosaques, du pouvoir effectif de toutes les contrées qu’arrose le Tarim[1], l’autorité chinoise n’existant guère que pour la forme. A vrai dire, le fait a été contesté par d’autres voyageurs ; il est probable qu’il a été temporairement exact.

Quant au Tibet et à la Mongolie, il est difficile de savoir jusqu’à quel point avait été poussé le travail d’annexion à la Russie avant la guerre de 1904, puisque le mystère des couvents bouddhistes permet aux diplomates de cacher leurs agissements. On sait seulement que le palais du Dalaï-lama, si soigneusement interdit aux voyageurs ordinaires et même à des hommes de la valeur intellectuelle et de la notoriété d’un Sven Hedin, s’ouvre, ou du moins s’ouvrait facilement à tel moine obscur, fidèle sujet du tsar blanc, et on sait que des cadeaux s’échangeaient entre les deux souverains, accompagnés de papiers importants où se règle le destin des peuples d’Asie centrale, en dehors de leur volonté.

En Mongolie, mêmes allées et venues des pieux émissaires dans les grandes bonzeries qui gouvernent les tribus nomades, car les Mongols ne sont plus la terrible nation des gens de guerre, qui, saisis de la folie des aventures, descendaient en déluges irrésistibles sur la Chine ou sur l’Europe. De modernes évaluations, qu’il est impossible de ne pas croire exagérées, nous disent que la population mongole serait en majorité composée de lama : dans les régions orientales, les parents consacreraient deux enfants sur trois à la prêtrise[2]. Le gouvernement chinois aurait grand intérêt à voir décroître la natalité d’année en année chez ces Mongols redoutés qui mirent si souvent l’empire en danger. De leur côté les conquérants russes peuvent marcher de l’avant, sans avoir à s’inquiéter de cette tourbe d’assouvis, occupée seulement de son salut spirituel et des moyens de l’atteindre, prières, génuflexions, balancements de la tête et des membres. On le voit, les Occidentaux, représentés spécialement par les Russes, n’ont plus à craindre maintenant, comme leurs ancêtres slaves ou sarmates, une invasion des Huns : ce ne sont plus les Mongols qui débordent sur l’Europe. Bien au contraire, ce sont les Européens qui débordent sur tout l’Extrême Orient, les uns Anglais, Allemands, Français, dans les ports du littoral, les

  1. Holderer, Bulletin de la Société de Géographie, 2e trimestre 1899, p. 203.
  2. Marcel Monnier, Le tour d’Asie, l’Empire du Milieu, p. 126.