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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

sur les terrasses neigeuses qui dominent l’Inde ; le prolongement normal des plaines de la Sibérie du sud se fait vers la Mongolie, sur le revers de l’Altaï et du Sayan ; jusque dans l’Océan pacifique, l’île de Sakhalin se poursuit au sud par la terre de Yéso, dans laquelle les ethnologistes retrouveraient à souhait des Aïno barbus, frères des moujik de la Grande Russie. Tout rattachement d’un nouveau domaine à l’immense empire était ainsi, sinon justifié, du moins expliqué, excusé d’avance, sous prétexte de cohésion géographique. Munis de ces raisons
type kirghiz
paraissant bonnes aux favorisés du sort, les envahisseurs russes pouvaient ainsi marcher de proche en proche jusqu’au fond de la Chine et, certes, ils n’y auraient pas manqué, s’ils n’avaient rencontré sur leur chemin de redoutables adversaires.

D’ailleurs, ce n’est pas seulement la continuité géographique des territoires qui facilite l’œuvre de conquête, les conditions ethnologiques sont également favorables aux empiètements de la Russie. Les adversaires qu’elle rencontre sont des frères de race pour un grand nombre des allophyles qui peuplent l’empire. Les Turcomans, qui se défendirent avec une si extraordinaire vaillance contre les Russes de Skobelev, se sont réconciliés facilement quand ils ont vu dans les rangs de l’armée moscovite d’autres tribus turcomanes, ayant leurs mœurs, leur langue, leur mentalité. Les Kirghiz de la Kachgarie reconnaîtront comme des compatriotes ceux qui leur viendront des steppes occidentales, et des Bouriates aux autres Mongols, la transition sera presqu’insensible. Par la force même des choses, les Russes ont suivi la méthode des chasseurs d’éléphants sauvages qui introduisent des animaux domestiques dans l’enclos où se démène le captif pour le calmer et l’accou-