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l’homme et la terre. — russes et asiatiques

bablement leurs supérieurs par leurs qualités morales, énergie, probité, droiture. D’ailleurs les traditions du peuple finnois furent toujours pacifiques. A la lecture de la grande épopée nationale du Kalevala, recueillie par Elias Lônnrot, on est frappé du caractère de majesté tranquille que présentent ses héros. Alors qu’Homère se plaît aux récits guerriers, que la chanson de Roland est une longue description de batailles, le Kalevala évite avec soin les sanglants tableaux : les héros finnois accomplissent plus souvent leurs exploits par la puissance du chant et de la parole que par l’épée ; le vainqueur n’est pas celui dont le bras est le plus fort, mais celui dont l’esprit est le plus sage, qui détient les paroles originelles[1]. Lorsque, en 1809, la conquête eut fait passer les Finlandais de la domination du roi de Suède à celle du tsar, ils ne furent point mêlés ainsi que le commun des sujets aux multitudes asservies du reste de l’empire, mais l’empereur leur assura, à titre de « grand-duc de Finlande », le maintien de leur constitution spéciale, de leur diète et de leur existence indépendante de « nation libre ». Toutefois, en dépit des promesses du souverain, le peuple finlandais n’eut point à « bénir ses destinées », et, successivement, ses libertés furent amoindries, ses charges accrues. Un premier coup direct fut porté en 1899 par l’annexion, plus ou moins déguisée, au reste de l’empire ; nombre de Finlandais qui refusèrent de se courber devant le violateur de son serment s’éloignèrent de leur patrie ; mais la lutte est loin d’être terminée.

Du moins, le gouvernement russe, forcé par une certaine altitude de bon ton envers l’Europe qui le regarde, est obligé à beaucoup de ménagements pour un peuple aussi remarquable par sa tenue, ses connaissances, son amour du travail que l’est le peuple finlandais ; mais sur les autres confins de son empire, du côté de l’Asie, il ne se croit point forcé à de pareilles précautions et procède rapidement aux emprisonnements et aux massacres. On sait comment la guerre de la conquête caucasienne fut poursuivie pendant des générations comme une sorte d’école pratique pour « l’art de tuer les humains ». Il est certain que, même sans combat, la Russie eût pu conquérir le Caucase, puisque, dès la fin du dix-huitième siècle, elle l’avait enfermé dans le cercle de ses possessions ; les plaines de la Ciscaucasie étaient parcourues dans tous les sens par des Cosaques, et, de l’autre côté des monts, la Géorgie s’était donnée à

  1. René Puanx, préface de « Pour ma Finlande », par Iuhani Aho.