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l’homme et la terre. — latins et germains

villages. Graduellement les peuples opprimés se rendent compte que leur cas n’est point unique au monde. Chaque jour raffermit chez eux la volonté de se défendre et de profiter des enseignements de leurs voisins. À vrai dire, les questions se mêlent et, dans la lutte, on ne distingue pas toujours nettement le seigneur, au profit duquel se fait le travail journalier, de l’oppresseur qui restreint les libertés politiques et dont le siège se trouve souvent au loin, les bizarreries gouvernementales rattachant Fiume à Budapest et Lemberg à Vienne. Les revendications du Ruthène contre le Polonais autrichien, du Roumain et du Croate contre le Magyar, de l’Italien, du Slovène et du Tchèque contre l’Allemand se nourrissent de la résistance du Poznanien contre les ordres de Berlin, de celle des Finlandais contre Saint-Pétersbourg, de celle de l’Arménien contre Stamboul. L’exemple de l’Egyptien, de l’Indou se dressant en face de l’Anglais, ceux du Malgache, du Congolais, de l’Atchinois même ne sont point perdus pour le Slave ni le Géorgien.

Sur les autres frontières de l’Allemagne se présentent des phénomènes analogues montrant l’instabilité de l’équilibre politique actuel et l’inévitable approche de grandes révolutions. Ainsi la Belgique, ci-devant le champ de bataille de l’Europe occidentale, continue d’être disputée entre des forces contraires, représentées maintenant par les deux éléments ethniques des Flamands et des Wallons, partiellement différents par l’origine et complètement distincts par le langage : les premiers ont un parler tudesque, dont les patois tendent de plus en plus, sous l’effort du patriotisme local, à se confondre avec le hollandais ; les seconds, au contraire, parlent divers dialectes d’une langue rapprochée du français et gravitant vers lui par l’effet du commerce et de la littérature. Ce fait, le contraste des idiomes, semble une raison suffisante à ceux qui voient seulement les choses de l’instant et de la surface pour affirmer la parenté française des Wallons, le cousinage allemand des habitants de la Flandre, désignés jadis sous le nom de Thiois d’après leur langue ; d’ailleurs on peut dire en toute justice que ces deux parentés ont fini par se réaliser historiquement dans une forte mesure, grâce à la communauté de sentiments et de pensées que donne une même nourriture intellectuelle : peu importe que, quant aux origines, la plus germaine des deux demi-nations de la Belgique soit probablement celle des Wallons.

L’une et l’autre eurent une grande histoire, surtout pendant la période