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l’homme et la terre. — latins et germains

qu’elle répudie le socialisme en masse ? Evidemment, elle devrait représenter l’avant garde de la pensée nationale, ne fût-ce que par audace intellectuelle et par effervescence de jeunesse ; mais elle s’est assagie depuis les temps glorieux du Tagendburid, et les défis héroïques n’ont trait qu’aux rangées de chopes et aux coups de rapière.

A certains égards, le moyen âge dure encore en Allemagne, la Révolution de 1848, très partielle et très combattue par tous les éléments de réaction, n’ayant pas eu le temps ni la volonté méthodique d’abolir tout ce qui reste du système féodal. C’est en 1857 seulement que l’esclavage a été complètement aboli en Prusse : jusqu’à cette date, l’État s’était donné pour devoir de protéger la « propriété de l’Américain qui aurait eu la fantaisie d’amener avec lui des esclaves de ses plantations[1]. Ce respect de la propriété étrangère n’allait pas sans une observance rigoureuse des privilèges de la propriété seigneuriale en Allemagne, et ces privilèges, dont quelques-uns ont été transférés directement à la hiérarchie de l’État, comportent encore bien des inégalités sociales, malgré le suffrage universel, que le peuple a d’ailleurs reçu en cadeau et qu’il n’a point conquis de haute lutte. Les assemblées supérieures des divers États représentent presqu’uniquement les antiques survivances féodales, et les cercles militaires supérieurs sont, par le fait des coutumes de l’avancement, des assemblées strictement nobiliaires. Enfin la loi de lèse-majesté, la seule pour laquelle il n’y ait jamais de pardon, est appliquée en Allemagne avec une redoutable sévérité : on n’admet pas qu’en cette grave matière il puisse y avoir doute dans l’esprit des sujets : une personnalité vivante, un être agissant, écrivant et parlant est au centre de tout, dans le mécanisme de l’État, et n’entend pas qu’on méconnaisse ou qu’on défigure son rôle.

Quoi qu’on en dise et quoi qu’on ait pris l’habitude de répéter, surtout en France, par réaction contre les illusions d’antan, il y a pourtant entre la république et la monarchie plus qu’une différence de mots, plus qu’un contraste de symboles. En monarchie, la logique, aussi bien que la loi ramène tous les citoyens à s’occuper de la personne officielle, qu’elle qu’en soit la valeur, tandis qu’en république on peut négliger cet individu, s’il est vraiment négligeable, malgré la routine et la centralisation des pouvoirs hiérarchisés. C’est déjà un très grand débarras que la dispa-

  1. Eduard Meyer, Die Sklaverei in Alterthum, p. 12.