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progrès de l'allemagne

à la Germanie. Les progrès qu’elle a réalisés pendant le dernier tiers de siècle tiennent du prodige et dépassent même pour la plupart, en industrie et en commerce, l’accroissement étonnant qu’a pris la population, s’élevant de quarante millions d’hommes jusqu’à soixante. Une série de visites, faites à quelques années d’intervalle dans ses capitales et ses contrées les plus laborieuses, Berlin, Hambourg, la Saxe, la Westphalie, les bords du Rhin, permet de constater combien les changements ont été considérables et combien la pauvreté relative de l’Allemagne parmi les nations d’Europe s’est transformée en richesse. Les observations les plus instructives à cet égard sont celles que l’on peut faire dans les pays nouveaux, où telle industrie particulière a pris soudain naissance avec un parfait ensemble d’applications scientifiques dont les établissements plus anciens n’ont pas pu profiter aussi complètement. De même, telle lande sablonneuse, où çà et là se corrompaient des eaux noirâtres et où poussaient quelques touffes de bruyères, est devenue une campagne somptueuse dont le sol, savamment composé, produit les plus belles récoltes, que de toutes parts viennent admirer les agronomes.

Si les progrès matériels, variant d’ailleurs dans toutes les branches du travail humain, nous fournissaient un étalon précis, un “ mètre ” pour les progrès intellectuels et moraux, on pourrait tenter de mesurer le pas accompli par la nation allemande dans sa marche vers un avenir d’égalité et de justice. Mais de pareilles appréciations ne peuvent être faites : même y a-t-il peut-être empêchement absolu à la marche parallèle des deux évolutions matérielle et intellectuelle, comme si l’énergie de la nation ne pouvait produire plus d’un résultat à la fois. Nous ne pouvons émettre que des jugements partiels, éléments du jugement définitif que prononcera l’histoire. En se laissant guider par certains indices, dégagés de leur enchevêtrement immense avec les mille phénomènes de la réalité, d’orgueilleux patriotes peuvent aller facilement jusqu’à l’insanité. N’est-ce pas une idée folle qui induisait Hegel à voir dans la constitution de l’Etat prussien une sorte d’aboutissement de l’idéal des peuples en marche ? Du moins le philosophe admettait-il les races non germaniques comme appartenant au genre humain, tandis que des élèves logiques vont jusqu’à faire des Allemands une humanité spéciale : ainsi le livre des frères Lindenschmit[1] développe

  1. Die Rätsel der Vorwelt, oder sind die Deutschen eingewandert ? Mainz. 1846