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l’homme et la terre. — latins et germains

verrait plutôt en eux des Espagnols, à la veste courte, la large ceinture de laine, noire, rouge ou violette, aux espadrilles ou alpargates. Et quant aux Arabes et gens de toute race qui peuplent les faubourgs et bas quartiers des villes et qui se réclament plus ou moins vaguement du nom de « musulmans », combien en est-il qui portent une défroque sans nom, composée de vêtements malpropres, hélas ! mais pittoresques, où la culotte, le turban, la chéchia rappellent l’ancien costume méditerranéen du sud, tandis que le reste ressemble à la vêture des Napolitains. Et le mélange des races, qui n’existerait pas d’après la statistique des mariages, ne se poursuit-il incessamment en dehors des unions officielles ? Combien les traces du sang européen sont évidentes dans la plupart des villes et même dans les campagnes ! Enfin, au point de vue moral, il faut voir Arabes et colons français sur les mêmes lieux de marché, discutant leurs ventes et leurs achats ! On reconnaît bien alors qu’ils constituent la même pâte humaine, avec les mêmes finesses, les mêmes ruses, et au fond la même bonhomie.

Le meilleur ciment d’union entre les deux éléments ethniques les plus divers, le Français du Nord et l’Arabe à demi nomade, est celui que fournissent les Européens méridionaux et principalement les Espagnols aux familles nombreuses. Ceux-ci ne sont-ils pas déjà des Maures par une moitié de leurs ancêtres, rendant maintenant aux Arabes ce qu’ils reçurent d’eux jadis ? Quant aux colons français, ils souffrent de la maladie nationale par excellence, c’est-à-dire de la peur du mariage et des soucis paternels. Les jeunes filles des maisons bourgeoises trouvent difficilement à se marier, et les dots, les positions respectives de fortune se discutent de longues années à l’avance. Les plaies de la « paléoparthénie » et de l’ « oliganthropie » existent aussi sur cette terre qu’il s’agirait avant tout de peupler.

Quoi qu’il en soit, on n’a point à craindre actuellement que la séparation se fasse de nouveau entre la Maurétanie et l’Europe. Les musulmans de diverses races qui constituent le gros de la population sont trop séparés les uns des autres par les villes, les territoires de colonisation européenne et les voies ferrées pour qu’un soulèvement national ou plutôt une série de soulèvements locaux puisse désormais rejeter dans la mer les envahisseurs français ! Arabes et Kabyles pourraient tout au plus servir d’alliés à tel parti en cas de dissensions civiles ou à tel envahisseur étranger en cas de grande guerre. Désormais le danger