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infériorité des indigènes

urbains est européenne en grande majorité, et même en ceux où l’élément arabe est très considérable, la direction se trouve si bien centralisée entre les mains des Français par les institutions politiques et les avantages de la culture intellectuelle et de la fortune que leur prépondérance est énorme : il n’y a pas de comparaison possible entre les habitants d’origine européenne et les indigènes. Ce n’est pas tout, les villes sont attachées les unes aux autres sinon par des chemins de fer du moins par des routes, où la circulation consciente représentée par les messages, les lettres, les journaux, les envois de toute nature est française par essence : ce réseau, représentant le système nerveux entre tous les ganglions des villes, assure la supériorité des immigrants au point de vue de la cohésion et de l’influence.

Mais il y a plus encore, il existe certains districts de campagne où les Arabes sont en minorité et où leurs domaines ethniques se trouvent par conséquent séparés les uns des autres. Ainsi le Sahel d’Alger et la grande plaine de la Mitidja sont des terres essentiellement françaises où les Arabes ne sont plus guère que des hôtes tolérés et, pour la plupart, de simples mercenaires. En cette région, une lacune d’autant plus grande se produit dans le monde arabe que presqu’immédiatement à l’est des campagnes occupées par les villages français de la Mitidja s’élève la haute citadelle du Djurdjura, habitée par près d’un million de Kabyles ayant parfaitement conscience de leur origine distincte comme nation. Vers son milieu, la masse des Arabes de l’Algérie française se trouve donc coupée en deux moitiés distinctes. Au sud d’Oran, le peuplement des campagnes par les colons espagnols et français a produit un phénomène analogue : malgré la présence de Marocains au nombre de 7 000 (recensement de 1900), les musulmans sont en minorité effective dans l’arrondissement d’Oran, et les Arabes de l’ouest, limitrophes de la frontière, sont coupés de toute communication facile avec les Arabes de l’est, vivant sur les plateaux et les hauteurs qui dominent la vallée du Chéliff. En réalité, on peut dire que la conscience collective de la nationalité arabe est due surtout à la présence des Français en Algérie. Avant le milieu du siècle, la différence essentielle, unique aux yeux des indigènes, était celle du culte : la dissemblance d’origine est de mieux en mieux constatée et se substitue partiellement à celle de la foi, à mesure des progrès de l’irréligion et d’une supérieure compréhension des choses.