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l’homme et la terre. — latins et germains

continuent sous d’autres formes et, tant que les nations seront enfermées dans leurs frontières et dans leur corselet de vieilles traditions politiques, le même balancement qu’aux époques du moyen âge et de la Renaissance entraînera l’Italie, tantôt vers sa voisine du Nord, l’Allemagne, tantôt vers quelque autre grand État.

Les deux royaumes qui se partagent inégalement la péninsule Ibérique, l’Espagne et le Portugal, se sont maintenus séparés et hostiles, s’enfermant chacun dans son patriotisme local et dans la routine d’administration. La conséquence naturelle a été de faire du Portugal une quantité presque négligeable, n’ayant plus guère qu’un semblant d’indépendance politique. Trop faible pour ne pas avoir besoin d’appuis étrangers dans les questions d’ordre international, trop divisé, même au point de vue géographique, par le contraste que présentent les deux moitiés du pays séparées par l’estuaire du Tage, trop ignorant et dépourvu de valeur propre dans la masse de sa population, enfin trop privé de ses éléments énergiques par la constante émigration qui emporte ses meilleurs enfants vers les côtes brésiliennes, le Portugal n’a pas la force de réagir contre les intérêts de famille, de pouvoir et d’argent qui entraînent ses maîtres dans l’orbite des puissances étrangères, ou plutôt dans celle de la Grande Bretagne, reine des marchés portugais par le symbole de sa monnaie, si bien dénommée le « souverain ». Malgré l’humiliation que les Anglais lui firent subir en 1885, lorsque, passant de la vallée du Limpopo aux abords du lac Nyassa, ils s’emparèrent du bassin moyen du Zambèze, traditionnellement considéré jusqu’alors comme possession portugaise, l’asservissement réel du petit royaume à la politique anglaise est devenu si patent : que même les colonies africaines de Loanda et du Moçambique, sans parler de Lourenço-Marquez, sont déjà subordonnées aux exigences administratives et fiscales de l’Angleterre.

Peut-être l’Espagne se trouve-t-elle en voie de subir une humiliation de même nature. Aussi bien rattachée aux ports britanniques par les chemins de l’Océan qu’elle l’est à la France, et n’ayant avec celle-ci que deux voies ferrées d’union directe, la Péninsule est en grande partie la vassale de la finance anglaise, qui commandite chez elle tant de mines, de chemins de fer, de manufactures et autres entreprises. Même l’outrage indélébile fait à l’Espagne comme nation par l’occupation mili-