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l’homme et la terre. — latins et germains

et l’estuaire Platéen, eux aussi qui sont en voie d’italianiser la Tunisie.

L’Italie, encore si pauvre chez elle dans certaines de ses provinces, a eu beaucoup à souffrir, comme la France, de ses passions coloniales et du déplacement de forces qui en a été la conséquence. Cette ambition, qui eut pour résultat le désastre subi sur le plateau de l’Ethiopie en 1895, avait eu d’abord un autre objectif. La conquête de Tunis semblait très souhaitable aux politiciens de la Péninsule : la gloriole traditionnelle populaire eût été satisfaite de Continuer la politique de la grande Rome contre Carthage, et l’entreprise ne présentait point de danger. Mais les puissances d’Europe ne donnèrent point leur consentement, paraît-il ; la Grande Bretagne surtout, qui possède l’arsenal de Malte au centre de la Méditerranée, voyait de mauvais œil l’extension de l’Italie « une » sur les deux côtés de la mer Intérieure. Sous l’inspiration de Bismarck, qui brouillait ainsi la France et l’Italie pour de longues années, l’occasion fut saisie par un autre larron, et maintenant l’Italie fait presqu’ouvertement ses préparatifs pour l’annexion de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque. Ce n’est plus qu’une question d’opportunité, le syndicat européen des financiers et des rois ayant donné son approbation diplomatique. On parle aussi des projets qui, lors du démembrement de l’Empire turc, donneraient l’Albanie à la puissance qui lui fait face, de l’autre côté de l’Adriatique.

Quoi qu’il en soit des annexions futures, l’Italie a toujours le plus grave des problèmes à résoudre dans ses propres limites. Elle obéit à deux maîtres et, par conséquent, se trouve divisée contre elle-même. Sa propre capitale abrite des souverains forcément ennemis puisqu’ils représentent deux principes opposés, l’un d’origine céleste, l’autre de délégation nationale. Le pape est sinon Dieu, du moins son vicaire, son ambassadeur direct, chargé de dicter au monde entier des fidèles et des infidèles les infaillibles volontés d’en haut. Néanmoins ce n’est qu’un humble petit prince, au domaine tellement circonscrit dans tous les sens qu’un boulet de canon passerait facilement par-dessus, tandis que le roi d’Italie, simplement homme et quelque peu maudit, est un fort grand personnage, « le bon frère » des plus puissants empereurs. Comment concilier ces éléments inconciliables, sinon par de continuels échappatoires et subterfuges, par tout un échafaudage de mensonges qui d’ailleurs ne peuvent tromper personne ? Et les patriotes italiens, qui ont enfermé le pape dans un étroit quartier de Rome, n’en sont pas