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l’homme et la terre. — latins et germains

de s’appuyer sur les Arméniens pour se ménager des intelligences dans l’empire turc. Enfin l’un des souverains d’Europe, l’empereur Allemand, affecta quand même et toujours de se dire le « grand ami » du sultan, dont il a fait encadrer et manœuvrer les armées par les officiers de ses propres troupes. Quelle que soit la raison de l’attitude protectrice de l’Allemagne à l’égard du gouvernement turc, il est certain que les bénéfices matériels dus à cette bienveillance ont été considérables. La future voie ferrée du Bosphore au golfe Persique est concédée à des Allemands, et ceux-ci comptent bien sur l’appui du sultan pour entrer rapidement en possession de l’outillage commercial de l’empire, en Europe et en Asie.

Du reste, que ce soit par faveur ou par menace, la Turquie, considérée comme puissance européenne, se trouve entièrement à la merci des capitalistes qui gèrent ses finances et disposent indirectement des armées et des flottes de l’Europe. Le «  « Sultan Rouge » n’a qu’à s’incliner quand les ambassadeurs étrangers viennent apporter leurs ordres. L’Angleterre délimite à son gré l’arrière-pays d’Aden sans que le gouvernement turc ait à y redire ; la Russie expédie librement par les Dardanelles ses vaisseaux de guerre, plus ou moins déguisés en bateaux de plaisance ; la France, soucieuse des intérêts de financiers véreux, prend tranquillement une île en gage sans qu’on fasse la moindre tentative pour la lui disputer. Enfin l’Autriche confisque à son profit deux provinces en partie mahométanes, tandis que d’autres provinces conquièrent leur indépendance. Pendant le dernier siècle, le territoire et la population de la Turquie d’Europe se sont amoindris de près des trois quarts[1].

Ce n’est pas à un « homme malade », c’est à un invalide amputé de bras et de jambes que l’on devrait comparer ce qui reste de l’empire de Souleïman le Magnifique. Or, la Turquie se trouvant sous la dépendance de jour un jour plus étroite des financiers européens, il est à présumer que ceux-ci continueront de distribuer le pays à leurs protégés princiers comme ils l’ont déjà fait pour la Roumanie, la Serbie, la Bulgarie, la Bosnie-Herzégovine, l’île de Samos et la Crète.

Pourtant les ressources de toute nature, en hommes, en terres, en produits variés, que possède la Turquie, en Europe et dans l’Asie antérieure, dans les limites qu’on a bien voulu lui laisser pour un

  1. Voir la carte n° 464, page 261.