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vanités nationales

Bien plus, les Latins s’attribuent aussi la moitié du Nouveau Monde, c’est-à-dire toutes les populations d’origine très mélangée, blanche, rouge et noire, qui parlent le français, l’espagnol ou le portugais, dans les Antilles, le Mexique, l’Amérique Centrale et tout le continent colombien au sud de Panama.

En dehors du monde latin, ceux qui luttèrent le plus énergiquement contre la puissance de Rome et qui finirent par la renverser, les Germains, occupant la plus grande partie de l’Europe centrale, se disent former une deuxième race, à laquelle se rattachent au Nord, comme sous-race, les Scandinaves du Danemark, de la Suède, de la Norvège et de l’Islande. En outre, les Germains revendiquent comme appartenant à leur race tous ceux qui, dans les îles Britanniques, aux Etats-Unis et dans la Puissance du Canada, ont pris le nom d’ « Anglo-Saxons » et prétendent aussi constituer à eux seuls la race dirigeante du monde.

Les Slaves de l’Europe orientale, débordant à l’ouest sur l’Allemagne, au sud-ouest sur l’Austro-Hongrie et la Balkanie, au sud-est sur les régions caucasiennes, à l’est sur les immenses territoires de l’Asie, embrassent aussi sous le nom de race slave bien des peuples assujettis. Enfin, les nations dominatrices du monde à culture de type européen veulent bien consentir à faire une place à côté d’elles, sous le nom de race « jaune », aux cinq cent millions de Chinois, d’Indo-Chinois et de Mongols.

Quant aux Japonais, les classificateurs se trouvent embarrassés : faut-il les placer parmi les « jaunes », auxquels ils appartiennent par l’origine, la couleur, la langue, les traditions ; ou bien doit-on les rattacher virtuellement aux Anglo-Saxons, avec lesquels ils se sont étroitement alliés au point de vue politique et dont ils cherchent à copier les mœurs ? De même, sous quel vocable désigner les trois cent millions de péninsulaires hindous ou dravidiens ? d’ordinaire, on est disposé à ne voir en eux qu’une simple dépendance de la « race » anglo-saxonne qui les gouverne.

Depuis la dernière moitié du dix-neuvième siècle, un grand nombre de « Latins », considérés comme personnages représentatifs, se laissent aller à un certain découragement, et semblent admettre comme une sorte d’axiome, que « l’âme latine est vidée », que le génie de la race est définitivement épuisé. De pareilles niaiseries ne peuvent s’expliquer