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l’homme et la terre. — répartition des hommes

La population est tellement concentrée en certaines grandes villes qu’elle dépasse mille habitants par hectare, notamment dans quelques quartiers de Paris ; à Prague, les foules se pressent bien plus encore ; à New-York, en 1896, la pullulation des êtres humains aurait atteint sa plus forte densité, 1 860 individus par hectare, sur une étendue de 130 hectares[1]. Autour des villes que le génie militaire n’a pas entourées d’une marche interdite au peuplement, la campagne elle-même se couvre de villas et de maisons. Attirées vers ce qui est leur centre naturel, les agriculteurs se rapprochent de plus en plus du massif continu de constructions et forment dans son pourtour un anneau de population dense ; forcés en conséquence de se contenter d’un moindre espace pour leur habitation et leurs cultures, ils se livrent à un travail plus intensif : de pâtres ils se font laboureurs, et de laboureurs jardiniers. Les cartes démographiques montrent bien ce phénomène de la répartition annulaire des campagnards se transformant en horticulteurs. C’est ainsi que la ville de Bayreuth est ceinte d’une zone où la densité de la population est de 109 habitants par kilomètre carré ; autour de Bamberg, la densité kilométrique atteint le chiffre de 180 individus, et le terrain sur lequel cette foule s’est amassée était pourtant à l’origine de très faible valeur ; mélange de sable et de tourbe, il ne convenait autrefois qu’à la croissance des conifères : on en a fait un sol de jardin incomparable[2]. Dans la région méditerranéenne, il arrive que l’amour de la ville, au lieu de peupler la campagne de banlieue, la dépeuple au contraire. Le grand privilège de pouvoir discuter les intérêts publics a, par tradition, changé tout le monde en citadins. L’appel de l’agora comme en Grèce, de la vie municipale comme en Italie, attire les habitants vers la place centrale où se débattent les affaires communes, plus encore sur les promenoirs publics qu’entre les murs sonores de la maison de ville. C’est ainsi qu’en Provence, le petit propriétaire, au lieu d’habiter ses champs, reste quand même un « urbain » invétéré ; Quoiqu’il possède mas ou bastide, il ne s’installe point dans ce clos rural, mais il réside dans la ville d’où il peut aller, en se promenant, visiter ses arbres chemin, c’est là, sur cette ligne de raccordement fruitiers et en faire la cueillette. Les travaux de la campagne sont pour lui chose secondaire[3].

Par un mouvement de réaction bien naturel contre l’effrayante con-

  1. Lawrence Corthell, Revue scientifique, 27 juin 1896, p. 815.
  2. Chr. Sandler, Volks-Karten, p. 1.
  3. Edmond Demolins, Les Français d’aujourd’hui, pp. 106, 107.