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l’homme et la terre. — répartition des hommes

conseils municipaux, procèdent souvent à la façon de ces Mummius qui commanderaient volontiers à leurs soldats de repeindre les tableaux détériorés ; ils s’imaginent que par la symétrie ils atteindront la beauté et que des reproductions identiques donneront à leurs cités des Parthénon et des Saint-Marc. N’avons-nous pas en Europe une ville que ses bâtisses mêmes rendent banale par excellence, la vaste Munich, qui renferme tant et de si scrupuleuses imitations de monuments grecs et byzantins, chefs-d’œuvre auxquels manquent le milieu, l’air, le sol et les hommes ?

Les copistes réussiraient-ils à faire surgir des monuments en tout semblables à ceux qui leur ont servi de modèles, ils n’en auraient pas moins produit un travail contre nature, car un édifice ne se comprend pas sans les conditions d’espace et de temps qui l’ont fait naître. Chaque ville a sa vie propre, ses traits, sa physionomie particulière : avec quelle vénération les bâtisseurs doivent-ils s’en approcher ! C’est un attentat contre la personnalité collective constituée par la cité que de lui enlever son originalité pour la hérisser de constructions banales ou de monuments contradictoires à son rôle actuel ou à son passé ! Le grand art est de transformer la cité nouvelle pour l’adapter aux nécessités du travail moderne, en conservant tout ce qu’elle eut de pittoresque, de curieux ou de beau dans les siècles d’autrefois ; il faut savoir y maintenir la vie et lui rendre la salubrité et l’utilité parfaites, de même que des mains pieuses rétablissent la santé d’un malade. C’est ainsi que, dans la ville d’Edimbourg, des hommes d’intelligence, à la fois artistes et savants, ont entrepris de restaurer l’admirable rue dite High-Street, qui descend du château-fort au palais d’Holyrood, unissant les deux cellules maîtresses de l’ancienne ville. Abandonnée tout à coup, lors du départ pour l’Angleterre du roi Jacques, par les parasites de la cour, chambellans, militaires, hommes de plaisir, fournisseurs et gens de loi, cette avenue de riches maisons avait changé d’habitants ; les pauvres en avaient fait leur demeure, aménageant de leur mieux les vastes salles en les divisant par des cloisons grossières. Deux siècles après la désertion de cette rue, elle était devenue un ensemble de masures aux cours nauséabondes, aux réduits envahis par les fièvres : la population, vêtue de loques malsaines, toujours souillées de boue, se composait en grande partie d’infirmes, de scrofuleux et d’anémiés. Aux vices élégants de la cour avaient succédé les vices dans toute leur hideur publique. C’est à ces affreuses sentines