Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome V, Librairie universelle, 1905.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
l’homme et la terre. — la révolution

des Ecritures que l’on ne peut, servir deux maîtres. Le pape désapprouva les prêtres assermentés, et bientôt la foule des catholiques forcenés vit en eux autant de suppôts du démon, de magiciens empoisonnant l’hostie par leurs maléfices ; on repoussa leurs prières ; on s’écarta de leurs cérémonies avec horreur, tandis qu’on se pressait autour des saints qui n’avaient pas souillé leur bouche par des paroles que condamnait l’Eglise, et qui restaient en communion directe avec le saint Père, représentant par excellence de l’ancien régime, bien mieux que le roi lui-même. L’antagonisme entre la société révolutionnaire et la chrétienté traditionnelle devint plus violent, plus inconciliable, lorsque l’Assemblée, convaincue que le peuple ne pouvait se passer de culte décida que la grande fête nationale serait désormais celle de la Raison et qu’on la célébrerait dans l’église même de Notre-Dame, aux lieu et place du culte supprimé, sur son autel. De pareilles cérémonies, exécutées avec une pompe théâtrale et fausse, n’étaient quand même qu’une sorte de parodie de la messe catholique et lui étaient de beaucoup inférieures puisqu’elles ne venaient point du peuple et que parmi les figurants nul n’était ému. Le conflit entre la Raison et l’Eglise devait se terminer au profit de cette dernière, puisque la Raison se gérait aussi en déesse, pauvre, impuissante imitation du passé. Etait-ce une Minerve, une Vierge nouvelle ? Mais les prières ne montèrent point vers elle, tandis qu’au fond des cryptes, les antiques survivances courbaient encore des fronts devant des effigies noircies par le temps.

D’ailleurs en dehors des formes du catholicisme traditionnel, que l’on n’osa point proscrire et que même Robespierre, devenu presque pape en un monde de fidèles, protégea ostensiblement, comme pour y trouver la garantie la plus sûre du pouvoir absolu, tous les républicains, leurs institutions et leurs œuvres participaient de l’esprit catholique ; tous avaient la prétention de faire de gré ou de force le bonheur de l’humanité, de lui dicter des lois inviolables, conçues en une cervelle infaillible. « Tant que vous n’aurez pas acheminé sur une même trace et moulé à une même forme tous les enfants de la patrie, disait Ducos, c’est en vain que vos lois proclameront la sainte égalité ». Chaque révolutionnaire portait en soi un dictateur. Heureusement que, pendant la grande et fervente époque de la Révolution, encore portée par son premier élan, toutes ces dictatures se combattaient entre elles et que de leur choc naissait la résultante, la grande œuvre du peuple. Car si puissants