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l’homme et la terre. — répartition des hommes

splendide, un aménagement merveilleux ; même les écoles, les bibliothèques et les musées n’y manquent point. Si le choix des emplacements est favorable, les créations nouvelles sont entraînées dans le mouvement général de la vie, et le Creusot, Crewe, Barrow-on-Furness, Denver, la Plata prennent rang parmi les centres de population ; mais le site a-t-il été mal choisi, les villes meurent avec les intérêts particuliers qui leur donnèrent naissance : Cheyenne-City, cessant d’être la gare terminale d’un chemin de fer, expédie ses maisonnettes plus avant sur la ligne ferrée, et Carson-City disparaît quand s’épuisent les mines d’argent qui groupèrent les habitants dans ce désert affreux. D’ailleurs, si le caprice du capital essaie parfois de fonder des villes que les intérêts généraux de la société condamnent à périr, il détruit aussi de nombreux groupes de populations qui ne demanderaient qu’à vivre. Ne voit-on pas, dans la grande banlieue de mainte importante cité de gros banquiers et propriétaires terriens augmentant chaque année leur domaine de centaines d’hectares, changeant méthodiquement les cultures en plantations ou en parcs à faisans ou à gros gibier, et rasant tous les hameaux et villages pour leur substituer de distance en distance quelques maisonnettes de gardiens ?

Parmi les villes qui sont à demi ou même complètement factices et qui ne répondent pas aux besoins réels des sociétés travailleuses laissées à elles-mêmes, il faut citer aussi les places de guerre, du moins celles que font construire de nos jours les grands États centralisés. Il n’en était pas ainsi lorsque la cité contenait toute la tribu ou formait le noyau naturel de la nation : alors il lui fallait bien se protéger en élevant des remparts qui suivaient exactement le pourtour des quartiers et dressaient à leurs angles des tours de guet. À cette époque, la citadelle, où tous les citoyens se réfugiaient en cas de danger suprême, n’était autre que le temple, bâti au haut de la colline gardienne, le monument devenu sacré par les statues des dieux. Les villes qui constituaient un organisme double comme Athènes, Mégare, Corinthe devaient protéger même la route intermédiaire par de longs murs parallèles.

L’ensemble des fortifications, s’expliquant par la nature du sol, prenait dans le paysage un aspect harmonieux et pittoresque. Mais, en nos jours d’extrême division du travail, où la force militaire est devenue pratiquement indépendante de la nation et où nul civil ne peut s’ingérer à donner son avis en matière stratégique, la plupart des