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ère des difficultés

maintien des antiques traditions, c’est-à-dire pour leur propre asservissement. Les paysans murmuraient dans les diocèses de l’ouest et du midi ; même dans les villes telles que Nîmes et Montauban, où les haines étaient entretenues par le contact immédiat des catholiques et des protestants, les assassinats et les tueries commençaient. En ce conflit, le clergé avait un précieux avantage : « il savait très bien ce qu’il voulait »[1], tandis que l’Assemblée ne le savait pas. Aussi, lorsque les députés catholiques sommèrent leurs collègues de la noblesse et du Tiers d’avoir à déclarer franchement si oui ou non ils professaient la religion traditionnelle de la France, ces députés hésitants, incertains et timides parce qu’ils appartenaient à un âge de transition, parce qu’ils étaient à la fois catholiques par la survivance, libres penseurs par l’éducation, se trouvèrent-ils fort embarrassés. En 1790, l’Assemblée constituante discuta plusieurs heures pour savoir si la Révocation de l’édit de Nantes devait être maintenue ! puis elle s’occupa de la constitution du clergé, tout en ignorant le dogme que professait l’église, et décida de payer chèrement des cérémonies bizarres, fort bonnes pour le peuple, mais méprisables pour la plupart de ses membres. Comme le satyre de la fable, les représentants de la nation soufflaient le froid et le chaud. La France devait donc rester catholique, puisque la foi nouvelle de la fraternité des hommes en dehors de tout commandement divin n’avait pas encore conscience d’elle-même. Si la bourgeoisie survécut, triomphante, à tous les événements chaotiques de la Révolution, c’est qu’elle avait achevé son évolution préalable et ne se laissait point détourner de son idéal. Mais la pensée libre n’en était pas encore là : elle ne s’était pas dégagée du mysticisme évangélique et croyait toujours à une morale divine qu’aurait distillée l’Eglise. Aussi celle-ci reprit-elle le dessus, la série de ses avatars n’était point achevée.

La société civile essaya pourtant d’un accommodement avec la religion chrétienne. Des curés républicains se prêtèrent à cette conciliation, s’imaginant qu’ils pourraient obéir à la fois à l’Evangile du Crucifié et à celui des Encyclopédistes. Très sincèrement, ils restaient observateurs de leur foi, tout en prononçant le serment exigé d’eux, en qualité de fonctionnaires, qu’ils seraient « fidèles à la nation, à la loi et au roi, et maintiendraient la constitution ». Mais de nouveau se vérifia le proverbe

  1. Michelet, Histoire de la Révolution française, vol. I, passim.