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l’homme et la terre. — peuplement de la terre

dans la seule bande équatoriale comprise entre le 15e degré nord et le 15e degré sud, n’aurait rien que de normal. Dans les régions tropicales productives en bananes et autres plantes à rendement nourricier considérable, une surface de 15 mètres carrés suffit, nous dit Humboldt, à produire régulièrement la nourriture d’un homme. C’est dire qu’en utilisant, dans les bassins de la Ganga et des autres fleuves de l’Inde, sur le versant oriental du plateau mexicain, dans les Yungas de la Bolivie et les vallées fluviales de la Colombie, du Brésil, sur les côtes de l’Amérique centrale, les terres à fécondité puissante, on trouverait sans peine des territoires dix et vingt fois plus grands que les 22 500 kilomètres carrés nécessaires pour assurer sa subsistance à l’humanité tout entière qui, proportionnellement, pourrait atteindre sans danger quinze, vingt, trente milliards d’individus. Que de districts purement agricoles existent déjà où la population, vivant uniquement du produit de ses jardins, dépasse de beaucoup en densité kilométrique les industriels pressés autour de nos usines de l’Europe occidentale ! On peut prendre comme exemple l’île de Tsung-Ming, où près de 1 200 000 habitants, au nombre de 1 475 par kilomètre carré, tournent et retournent incessamment le sol pour en tirer leur pain.

Tout en constatant qu’aucune considération de quantité ne saurait prévaloir sur la qualité de l’humanité de demain, nous pouvons admettre avec un évaluateur circonspect, Ravenstein, que la capacité d’accommodation de notre Terre s’élèverait à six milliards d’êtres humains. Toutefois pareils calculs ne peuvent avoir de valeur sérieuse tant qu’ils partent de l’hypothèse première que les conditions actuelles du travail ne changeront point, et que la Terre se remplira peu à peu suivant le modèle présenté de nos jours par les diverses régions de l’Europe : il faut prendre en considération ce fait capital, que la culture n’a pas encore le caractère intensif dicté par la science et que l’accroissement des produits facilitera l’augmentation des hommes, suivant un taux complètement imprévu. En outre, il faut reconnaître que l’étendue des bonnes terres, actuellement très limitée, ne peut manquer de grandir en de fortes proportions, ici par l’irrigation du sol, ailleurs par le drainage ou par le mélange des terrains. En réalité, il n’existait point de « bonnes terres » jadis : toutes ont été créées par l’homme, dont la puissance créatrice, loin d’avoir diminué, s’est au contraire accrue en d’énormes proportions. Les régions devenues de nos jours les plus