Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome V, Librairie universelle, 1905.djvu/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
305
patriotisme légitime et patriotisme avide

tement comme la source du patriotisme, se mêlent donc l’avidité du pillage et la haine de l’étranger pour faire éclore cette fleur hybride que l’on célèbre volontiers comme la plus belle ! Pourtant les progrès moraux et intellectuels réalisés pendant le cours des générations ont dessillé bien des yeux ; plusieurs même commencent à comprendre combien cet égoïsme « ethnocentrique » est absurde chez les autres, mais ils ne veulent pas admettre qu’il soit aussi niais chez eux-mêmes. Qui que nous soyons, nous voulons tous être le « peuple du Milieu », comme les Chinois. Si la « grande nation » française a répété par les mille voix de ses journaux qu’elle « marche à la tête de la civilisation », Hegel, que les Allemands ont bien voulu croire sur parole, affirme que son peuple est « l’incorporation de l’esprit objectif », ce qui se peut traduire par cette phrase plus simple, que « les Allemands sont les seuls à comprendre la vérité »[1].

une maison sur la frontière à halluin (nord)
D’après une photographie de M. Leprêtre.

N’est-ce pas au même genre de manie qu’il faut attribuer l’insistance de mauvais goût avec laquelle les savants de divers pays affectent de parler de leurs travaux comme appartenant à la science « allemande », à la science « française », sans comprendre que pareille

  1. Ludwig Gumplowicz, Sociale Sinnesiäuschungen, Neue Deutsche Rundschau, 1896.