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l’homme et la terre. — la révolution

ecclésiastiques, gouvernements de l’armée, bailliages ou sénéchaussées judiciaires, ressorts parlementaires, pays de droit romain et de droit coutumier, de gabelles et de rédemption, d’aides et de gratuités, de concordat et d’obédience[1], tout cela devait nécessairement disparaître, débarrasser la France de son inextricable réseau de frontières entremêlées — et ce qui en reste encore ne peut être conservé que d’une manière artificielle — ; mais les limites de départements, arrondissements et cantons ne sont pas moins artificielles pour la plus forte part de leurs contours, et s’effaceront aussi, non d’ailleurs sans avoir eu le résultat funeste de rompre bien des communications naturelles et d’embarrasser de mille manières le mouvement spontané des populations.

Il est certain qu’une division naturelle en « pays » eût donné à la carte de France un aspect tout autrement irrégulier, la superficie des divers éléments juxtaposés eût facilement varié du simple au décuple : les affinités électives diffèrent dans toutes les régions suivant la nature et les productions du sol, le développement moral et intellectuel des populations, la circulation générale de la vie. En outre, les progrès de la civilisation et l’accroissement des facilités dans les rapports de voisinage n’eussent pas manqué, en l’absence d’une autorité centrale, de supprimer toutes ces divisions partiellement factices. A l’époque où furent tracées les lignes administratives départagé, il fallait des semaines pour que le va-et-vient des ordres et des réponses pût se faire entre la tête et les extrémités du grand corps ; hier il fallait encore des heures, quelques minutes suffisent aujourd’hui. C’est donc un véritable contresens que de vouloir fixer par des lignes immuables une histoire qui se modifie et se transforme toujours.

La nouvelle distribution administrative de la France devait amener les législateurs des diverses assemblées à discuter avec passion les théories contradictoires relatives à l’organisation politique du royaume, fédéralisme ou centralisation. C’est précisément la question qui s’était posée pour les colonies américaines après leur victoire commune sur les forces britanniques ; mais la solution ne pouvait être la même dans les deux contrées, puisque les traditions historiques et les conditions présentes différaient de part et d’autre. En France les centralisateurs intransigeants eurent gain de cause, la patrie fut déclarée « une et indivisible »,

  1. Louis Blanc, Histoire de la Révolution française, II, p. 402 ; — Edmond et Jules de Goncourt, Histoire de la Société Française pendant la Révolution, p. 393.