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l’homme et la terre. — la révolution

privilégiés par la possession d’un pouvoir, autant de petits rois qui discutent, sanctionnent et appliquent les lois à leur profit. La loi fut toujours celle qu’imposa le plus fort.

Armée par la puissance du peuple du droit de fabriquer des lois, l’Assemblée nationale eût bientôt de nouveau lié la France pour la ramener aux pieds du gouvernement fort dont elle aurait été le seul conseiller. Mais la nation vivait déjà de sa propre vie et s’organisait spontanément pour se défendre contre le retour offensif des seigneurs, contre le fisc, contre les gens d’affaires, contre les dangers que suscite la peur.

De village à village les paysans s’associaient ; ils se groupaient en fédérations avec les villes ; et de province à province, par-dessus les anciennes limites, se faisaient les alliances : ayant les mêmes intérêts, le même amour de la paix, le même souci des récoltes prochaines et de la liberté conquise, les citoyens se reconnaissaient et s’embrassaient comme frères, oubliant que jadis leurs pères s’étaient entre-haïs. Naturellement les unions d’amitié se formaient surtout entre communes et pays que rapprochaient les mœurs des habitants, la facilité des communications, les avantages réciproques de l’échange, et, à cet égard, il serait très utile d’étudier la répartition des groupes en cellules primitives qui se constituèrent ainsi en spontanéité parfaite dans la France entière ; mais à cette grande époque on se sentait attiré mutuellement non seulement en vertu des ressemblances mais aussi en vertu des contrastes : on aimait à se rencontrer de la plaine à la montagne et du vignoble au bocage, parce qu’on voulait se connaître et fraterniser en un même sentiment d’héroïsme et de bonté. Tous étaient devenus meilleurs : ce furent les plus beaux jours qu’ait jamais vus la France, ils sont uniques en son histoire. La nation s’était exaltée par l’enthousiasme bien au-dessus d’elle-même jusqu’à l’amour de tous les hommes.

L’unification de la France, naguère découpée en États féodaux distincts que la main royale reliait en un seul faisceau, s’accomplissait donc d’une manière toute spontanée. Il n’y aurait eu qu’à laisser faire pour que l’ensemble de la nation devînt vraiment « un », mais avec la diversité normale de tous les groupes naturels constitués pour le tracé et la confection des routes, pour la demande des subsistances et autres intérêts communs. La France avait déjà, en quelque sorte, ses cantons,