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la commune de paris

quelque notion de l’histoire n’eut le moindre doute sur l’issue finale du conflit. Tous ceux qui acclamaient la Commune, vieux routiers des révolutions antérieures ou jeunes enthousiastes épris de liberté, savaient d’avance qu’ils étaient voués à la mort. Victimes propitiatoires, ils devaient à la noblesse de leur dévouement, à l’ampleur de leurs idées une gravité sereine qui se reflétait sur la physionomie générale de Paris et lui donnait, en ces jours de résolution virile et de complet désintéressement, une physionomie de majestueuse grandeur qu’elle n’avait jamais eue. Les hommes mêmes qui étaient portés au pouvoir obéissaient pour la plupart à des mobiles plus élevés que ceux qui dirigent d’ordinaire les ambitieux de titres, d’honneurs ou de puissance. Eux aussi voyaient, après un laps de quelques semaines ou de quelques mois, l’inévitable défaite se dresser devant eux.

Condamnés d’avance à une impitoyable répression, les gens de la Commune auraient dû profiter du court répit de l’existence pour laisser de grands, d’incomparables exemples, pour amorcer, par delà révolutions et contre-révolutions, une société future débarrassée de la famine et du fléau de l’argent. Mais, pour entamer une œuvre semblable, il eût été nécessaire de s’accorder en une volonté commune et de mettre en pratique un savoir éprouvé déjà. Or, les révoltés de Paris représentaient des groupes fort disparates qui devaient forcément agir en sens inverse les uns des autres. Dans le nombre, quelques-uns en étaient encore restés à des accès de romantisme jacobin, d’autres n’avaient que d’honnêtes instincts révolutionnaires ; une minorité seulement comprenait qu’il eût été nécessaire de procéder avec méthode à la destruction de toutes les institutions d’Etat et à la suppression de tous les obstacles qui empêchent le groupement spontané des citoyens. Somme toute, l’œuvre du gouvernement de la Commune fut minime, et il ne pouvait en être différemment, puisqu’il était en réalité entre les mains du peuple armé. Si les citoyens avaient été poussés par une volonté commune de rénovation sociale, ils l’eussent imposée à leurs délégués, mais ils n’avaient guère que la préoccupation de la défense : bien combattre et bien mourir.

Le tort principal du gouvernement de la Commune, tort inévitable, puisqu’il dérivait du principe même sur lequel s’était constitué le pouvoir, était précisément celui d’être un gouvernement et de se substituer au peuple par la force des choses. Le fonctionnement naturel de la puis-