Page:Reclus - L'Homme et la Terre, tome V, Librairie universelle, 1905.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
244
l’homme et la terre. — internationales

grand nombre d’heures à l’enseignement d’une langue parlée par une nation de vaincus. Et même, chez les petits peuples barbares où l’enseignement public n’existe pas encore, mais où l’on a du moins un embryon d’armée, on ne manqua de remplacer le bicorne et le schako par le casque à pointe : c’était encore une manière de rendre hommage à la civilisation, c’est-à-dire à la force. De toutes parts surgirent les prophètes annonçant la disparition définitive de la France, non par l’effet de son entrée prochaine dans l’unité supérieure d’un monde plus civilisé, mais par suite de la conquête et de la suppression violentes. On alla même jusqu’à présenter la chose en formules scientifiques, et, d’après la « loi de Brück », qui règle la destinée des hommes conformément au cycle du méridien magnétique, la nation française serait complètement effacée du grand livre d’Or depuis la bataille de Sedan. Enfin, la manie se répandit, et peut-être plus encore en France qu’en Allemagne, de contraster ce que l’on appelle le « génie latin », qui serait celui de la centralisation, du catholicisme, du jacobinisme, avec ce que l’on dit être le « génie germanique », qui, avec la possession de toutes les vertus, comporterait avant tout l’élan personnel et la libre initiative. En vertu de ce contraste des deux génies, ce serait l’armée en rangs et en colonnes de l’empereur Guillaume qui représenterait l’esprit de liberté dans l’histoire du monde contemporain.

Mais, quoiqu’en pleine détresse, la France vivait encore, et même, grâce au désarroi momentané du gouvernement central, la vie de la nation prenait un caractère plus spontané, plus sincère, plus saisissant, par ses contrastes et, en même temps, plus encourageant par ses promesses pour l’avenir. Les deux France qui, pendant la guerre, s’étaient déjà dressées l’une contre l’autre, rendant ainsi toute victoire commune absurde et impossible, se retrouvaient après la paix, plus ennemies et plus acharnées à la lutte qu’elles ne l’avaient jamais été. Tous les partis politiques et religieux qui voyaient dans les idées républicaines et socialistes une menace pour leurs privilèges s’étaient réunis en une masse compacte et furieuse pour ramener le peuple dans le giron de l’Église et de la monarchie, fallût-il même pour cela s’appuyer sur la complicité de l’étranger qui venait d’infliger à la France la plus cruelle des humiliations. Mais il ne déplaisait pas au vainqueur de voir sa victime se débattre dans ce qu’il s’imaginait devoir être le désordre chaotique de la Révolution. Bismark ne fit donc rien pour aider les partis monarchiques