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l’homme et la terre. — la révolution

gers immédiats de la situation : la France avait faim. Le froid de l’hiver, les mauvaises récoltes de l’année avaient triplé la misère ; la mortalité, aggravée çà et là par les émeutes, s’était grandement accrue et, malgré les maux qui s’abattaient sur lui, le peuple restait soutenu par l’espérance des temps nouveaux. Le vote, recueilli dans chaque province suivant des formes différentes, fut presque universel, si ce n’est à Paris, ville toujours iniquement traitée, où des conditions de cens s’attachaient à l’exercice du suffrage. En province, tous votèrent, à l’exception des domestiques : environ cinq millions d’hommes, fait unique dans l’histoire du monde, prirent part à la grande consultation nationale, et les délégués partirent pour Versailles, emportant les « cahiers » où se trouvaient consignés les doléances, les vœux, les résolutions, les espoirs du peuple. Quoique très modérés dans la forme, les cahiers du Tiers sont unanimes dans leurs revendications de justice et d’égalité. Mais ils témoignent aussi d’une foi monarchique très sincère, émue et respectueuse. Ils sont également pénétrés de vénération pour le christianisme sous sa forme catholique, et s’ils réclament la liberté de conscience, ils ne demandent point la liberté des cultes[1]. Quant aux nobles et aux prêtres, ils cherchent également à diminuer le fardeau qui pèsera sur leur propre caste et à reporter le poids sur la caste rivale. Les nobles veulent l’abolition des dîmes, la fermeture des couvents, la vente partielle des biens ecclésiastiques. Le clergé, de son côté, demande la suppression des privilèges du gentilhomme et, en échange d’une partie de ses terres, il réclame ce qu’il réclama toujours : l’éducation des enfants, l’âme des générations futures[2].

Les États se réunirent le 5 mai 1789, grande date considérée historiquement comme le début d’une ère nouvelle, celle de la domination bourgeoise dans l’Europe occidentale. Tout d’abord on piétina sur place : les ordres, noblesse, clergé, tiers, restant séparés dans leurs salles de délibérations respectives, on ne s’occupa, ici que de maintenir les privilèges, là que de les supprimer. Mais l’assemblée du Tiers, portée par tout le mouvement du siècle, eut les fortes initiatives : il se constitua en « Assemblée nationale » et somma les deux autres États d’avoir à se rendre dans la salle des délibérations. Les curés, qui se sentaient peuple

  1. Ch. L. Chassin, Génie de la Révolution.
  2. Michelet, Histoire de France, XVII, pp. 463, 464.