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l’homme et la terre. — nègres et moujiks

le continent nouveau étaient en très grande majorité venues d’outre-mer et représentaient ainsi, par le sang aussi bien que par les idées, l’ensemble de l’humanité progressive.

Les aborigènes des Amériques ne pouvaient évidemment prendre qu’une très faible part aux révolutions : tout au plus ce qui en restait fut-il entraîné dans le conflit par suite de l’ébranlement général. Les populations assimilables, c’est-à-dire les tribus agricoles vivant dans les contrées conquises par les Espagnols, qui, dans le cours des siècles, s’étaient presque complètement métissées par l’effet des croisements, se trouvèrent forcément engagées dans les guerres de l’indépendance hispano-américaine. Attirés avec plus ou moins de puissance et d’efficacité dans l’orbite de la civilisation européenne, ces éléments contribuèrent, avec le levain fourni par les descendants de race blanche, à constituer les nations nouvelles de l’Amérique latine. Quant aux chasseurs nomades qui parcouraient les régions centrales du Brésil et la plus grande partie de l’Amérique du Nord, ils ne pouvaient être utilisés par les blancs comme serviteurs dans la mine, le champ ou la prairie. Les pseudo-civilisés, incapables de les domestiquer directement, et bien trop égoïstes pour les assouplir, les élever par la douceur et la raison, comme avait essayé de le faire William Penn, avaient eu recours au moyen primitif, qui est l’extermination barbare.

Malgré tout, la race indigène des Amérindiens du Nord ne disparaîtra point de la Terre puisqu’une forte proportion de ses représentants est aujourd’hui policée et se mêle librement à la population d’origine européenne ; mais les exterminateurs ne manquent point de gens, de savants même, pour leur donner raison : l’éviction, la destruction des faibles par les forts, c’est la coutume que l’on propage volontiers sous le nom de « loi de Darwin ». La conception du monde telle que se l’étaient faite les Peaux-Rouges étant incompatible avec l’idée qu’en ont les « Visages-Pâles », le conflit dut fatalement se produire entre les deux éléments inconciliables, comme il s’était produit autrefois entre le pâtre Abel et Caïn, le laboureur[1].

Au milieu du dix-neuvième siècle, les descendants des aborigènes étaient bien peu nombreux en proportion d’un autre élément ethnique, les petits-fils des Africains importés pendant les deux siècles précédents

  1. Paul Carus, The Monist, April 1899, p. 400.