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l’homme et la terre. — nationalités

jusqu’alors lui étaient restées complètement soustraites, Chine, Japon, Corée, une partie méridionale du littoral tourné vers l’Insulinde était purement et simplement annexée comme territoire de conquête par l’une des puissances européennes. La France, dont les politiciens entreprenants regrettaient la part de l’empire indien passée au dix-huitième siècle sous la domination de la Grande Bretagne, voulait une revanche en d’autres « Indes ». En 1859, elle commença l’œuvre de conquête par l’occupation de Saïgon, sur un des fleuves latéraux du bas Mekong, et, successivement, de proche en proche, par les armes et la diplomatie, toute la moitié orientale du corps de l’Indo-Chine fut explorée, cartographiée et annexée à l’empire colonial français. Peuples pacifiques, ayant reçu de la Chine leur éducation morale, les habitants de la Cochinchine, de l’Annam, du Tonkin ne résistèrent que faiblement et, s’ils avaient été traités avec justice, ce que, d’ailleurs, il serait absurde de demander à des conquérants, ils n’eussent point résisté du tout : agriculteurs attachés à la glèbe, ils paient l’impôt à qui l’exige, et, par leurs millions de travailleurs, par la régularité de leurs efforts, la richesse du sol cultivé, fournissent de grandes ressources économiques à la puissance qui les exploite. Malgré l’incohérence des régimes de gouvernement qui se sont succédé, l’Indo-Chine française prend une importance très rapidement accrue dans le monde de l’Extrême Orient.

La péninsule Malaise, qui se rattache au corps continental de l’Indo-Chine, entre le golfe de Martaban et celui de Siam, se trouve forcée, par son orientation relativement au détroit de Malacca, à rester quand même beaucoup plus indienne que chinoise : rien n’a changé à cet égard depuis que « la lumière rayonnait de l’Inde ». C’est qu’en ces passages, la voie de navigation nécessaire longe le littoral occidental de la presqu’île pour se glisser dans la manche de Malacca et contourner Singapur ou les îlots voisins, pour s’élancer ensuite librement, soit au nord vers Bangkok, soit au nord-est vers les chemins de la Cochinchine ou de la Chine, soit encore à l’est ou au sud-est vers les terres dispersées de l’Insulinde. Aussi est-il facile de s’expliquer pourquoi les puissances européennes, dans leur prise de possession graduelle du globe, ont commencé l’annexion de l’Indo-Chine par la côte occidentale. Déjà en 1511, les Portugais s’emparèrent de la cité de Malacca, qui, grâce à sa position sur un des points les plus étroits du chenal, était devenue le principal rendez-vous des navigateurs et, depuis plus de deux siècles, avait imposé