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l’homme et la terre. — nationalités

traduits assez exactement par eux, mais avec l’addition expresse de l’interdiction des « choses malpropres », c’est-à-dire de l’opium et du tabac. Le communisme des premiers chrétiens, réveillant en eux des impressions ataviques depuis longtemps engourdies, les aida à proclamer la mise en commun des biens et à décider la réorganisation de la propriété terrienne par des groupements de vingt-cinq familles associées sur un domaine unique.

Pendant quatorze années, les Taï-ping constituèrent un empire dans l’empire, et très certainement ils eussent réussi à changer complètement l’équilibre politique du monde chinois si, d’une part, ils ne s’étaient laissé guider par un maître aux idées incohérentes que le vertige du pouvoir avait affolé et qui, devenu l’une des personnes de la « très sainte Trinité », ne daignait plus regarder sur la Terre[1], et s’ils ne s’étaient imprudemment heurtés contre les établissements européens du littoral. L’Europe préférait avoir à faire au gouvernement décrépit de Péking dont elle connaissait les faiblesses et qui obéissait à ses ordres, que de se mettre en nouveaux frais d’astuce diplomatique pour accommoder ses intérêts à ceux d’une Chine transformée ; des troupes mercenaires de toute race, commandées par des aventuriers français, anglais, américains, les Le Brethon de Coligny, les d’Aiguebelle, les Ward, Burgewine, Holland et le noble Gordon qu’on eût désiré voir en autre compagnie, se chargèrent de réduire l’insurrection pour le compte du gouvernement mandchou. C’est donc à l’aide de l’élément européen que la Chine officielle parvint à se débarrasser d’une révolte invétérée où l’influence de l’Europe avait eu sa grande part : influence d’étrangers, si peu nombreux en comparaison de la masse prodigieuse des Chinois, influence si puissante pourtant qu’on la retrouvait à la fois dans les conseils du gouvernement et dans les révolutions de la masse profonde.

Mais les étrangers voulaient posséder une part officielle de pouvoir correspondant à leurs ambitions et, bien avant la fin de l’insurrection des Taï-ping la guerre avait éclaté. La Grande Bretagne et la France s’étaient chargées de représenter les intérêts du « monde civilisé ». Le bombardement et l’occupation de Canton, puis deux attaques successives du fort de Peï-ho et deux prises de Tien-tsin, enfin la campagne victo-

  1. Lindesay Brine, The Taeping Rebellion in China.