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contre-coups lointains

Milieu, il faut certainement voir dans leur formidable poussée la preuve que l’Orient et l’Occident commençaient à vibrer parallèlement sous l’influence des mêmes causes profondes ; toutefois, aucun fait ne permet de rattacher directement cette grande révolution chinoise aux événements qui, vers l’autre extrémité de l’Ancien monde, agitaient alors les villes de Paris, de Berlin, de Vienne, de Pest et de Milan.

Pour l’Amérique latine, il en fut autrement : l’influence morale de la France est telle dans ces contrées que sa révolution nouvelle secoua fortement les esprits et produisit çà et là, notamment dans la Nouvelle Grenade, quelques mouvements politiques.

La révolution de 1848 se distingue de toutes les révolutions antérieures et marque en conséquence une très grande époque de l’histoire, parce que, du moins en France et en Angleterre, c’est-à-dire dans les deux pays qui avaient déjà poussé à fond une première évolution politique contre la royauté, le mouvement prit un caractère très net dans le sens d’une transformation sociale. La Révolution dite de 1789 n’avait pas eu d’autre idéal que le triomphe du Tiers état, c’est-à-dire celui de la bourgeoisie, et l’œuvre, dans son ensemble, était due aux propriétaires du sol et des maisons, aux industriels, aux commerçants, aux artisans d’élite, aux gens de professions libérales ; le peuple n’avait eu qu’à servir de comparse, il avait apporté ses instincts de foule, ses enthousiasmes, ses colères. Mais en 1848, c’est l’ouvrier, c’est le travailleur qui est l’auteur principal de la révolution. Il ne connaît peut-être pas le mot de « socialisme », qui est d’invention récente et dont quelques écrivains se disputent la paternité, mais il le fait entrer dans l’histoire ; il lui donne sa véritable signification, qui n’a rien d’abstrait, et que tous comprennent comme la « lutte pour l’établissement de la justice entre les hommes ».

La justice ! on l’avait déjà solennellement proclamée un demi-siècle auparavant, sous le nom de « Droits de l’Homme », et même on avait ajouté le cri de Fraternité ! à la proclamation de ces droits. Depuis cette époque, le temps de la réalisation de cet idéal semblait d’autant mieux venu que de nombreuses machines avaient été inventées pour alléger le travail humain et que les procédés de la division du labeur avaient augmenté de beaucoup la production. Or, loin de voir leur