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l’homme et la terre. — nationalités

ayant eu lieu à une période où le monde se trouvait en un très grand nombre de points dans une situation d’équilibre très instable, se propagea rapidement de royaume en royaume jusqu’aux extrémités de la terre. Jamais la solidarité, consciente ou inconsciente des peuples, ne s’était manifestée d’une manière plus évidente, jamais on n’avait mieux senti que la vie de l’humanité civilisée battait suivant le même rythme. Le roi Louis Philippe avait à peine débarqué en Angleterre, où tant de républicains chassés par lui l’avaient précédé sur cette terre d’exil, que le vieux Metternich, génie vivant de la contre-révolution européenne, vint le rejoindre, et, bientôt après, le roi de Prusse devait humblement comparaître devant son peuple de Berlin et lui demander, tête découverte, pardon d’avoir forfait à ses obligations de souverain constitutionnel.

Par contre-coup, l’Allemagne et les provinces non germaniques gravitant autour d’elle se trouvèrent beaucoup plus profondément ébranlées que la France : dans ce dernier pays, la question de l’unité nationale n’avait plus à être discutée, personne n’agitait l’idée de fédération, tandis que le vœu universel de tous les Allemands se portait vers la constitution d’une grande patrie soustraite à la domination et à la rivalité jalouse des États recteurs, l’Autriche et la Prusse. Le chaos que l’on appelait la « confédération germanique » avait été brouillé à plaisir par ces deux « mauvais bergers » et par les divers princes et principicules entre lesquels était partagé l’empire. L’ensemble des domaines se compliquait d’enclaves et d’exclaves entremêlées, qui faisaient du labyrinthe des États et de leurs dépendances proches ou lointaines un dédale connu seulement de quelques spécialistes. Le manque d’unité politique déterminée avait eu pour conséquence la formation d’un très grand nombre de petits centres, de foyers indépendants, qui maintenaient son caractère original à chaque partie de la contrée ; mais les lignes de partage entre les divers États restaient indistinctes, confuses, sans aucune précision. Néanmoins, à quelque petite principauté que l’on appartint, et que l’on vécût en paix, en rivalité ou en guerre, la nationalité allemande n’en restait pas moins fixée par la langue originaire : le Bavarois se savait Allemand comme le Saxon, l’Autrichien du Danube n’était pas moins Germain que le Westphalien de la Ruhr ou de la Weser.

Une fois toutes les anciennes limites géographiques effacées par