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l’homme et la terre. — la révolution

ment de haine spontanée contre les généraux qui trouvaient leur brevet dans le berceau. L’armée était désorganisée d’avance lorsque les événements la mirent en contact avec le peuple : on la vit se fondre devant les émeutes sans qu’il y eût même de conflit, les troupes lancées contre la foule fraternisaient avec elle.

Si les prélats de l’Eglise affectaient volontiers de plaisanter des choses saintes, ils étaient restés fort sérieux sur la questions des biens temporels, et même la résistance acharnée du clergé à toute mesure qui pouvait tendre à l’égalisation de l’impôt fut la principale cause du déficit qui ruina la France et mit le royaume à la merci du peuple. L’Eglise s’était bien soumise à participer quelque peu aux dépenses générales, mais elle ne déboursait de contribution annuelle qu’à titre de don gracieux au roi, tout au plus laissait-elle gager certains emprunts sur ses terres, ce qui ne lui coûtait rien. Déjà, au milieu du siècle, le projet qu’on avait eu d’estimer tous les biens — environ le quart du territoire français (A. Debidour) — avait été repoussé comme un sacrilège, car on aurait ainsi dévoilé la richesse du clergé et constaté officiellement ce que l’on savait déjà d’une manière générale, l’accaparement d’une valeur de quatre milliards en terres soustraites à tout impôt, en un pays où le laboureur succombait sous la dîme, les taxes et les corvées.

C’est un des faits les plus instructifs de cette période finale de l’ancien régime que le maintien féroce du servage dans les domaines appartenant à l’abbaye de Saint-Claude et comportant, outre la ville, les douze paroisses de sa banlieue, les quinze villages de la baronnie de Moirans et les cinq villages de la prévôté de Saint-Laurent-Grandvaux. De même que la noblesse, en y comprenant les riches anoblis, s’était faite le champion de l’esclavage des noirs dans les Antilles, de même le clergé voyait le plus saint des devoirs dans la conservation de sa propriété de serfs blancs, que les héritages, les confiscations, les intrigues, les captations lui avaient value aux siècles antérieurs.

Les religieux de Saint-Claude, au nombre de vingt-quatre, relevaient directement du pape, avec titre de chanoines, et portaient des ornements qui les assimilaient à des évêques. Elite des moines, ces hauts personnages étaient également une élite de noblesse, puisqu’ils ne pouvaient entrer dans la communauté qu’à la condition d’être nobles « de quatre races », à la fois du côté paternel et du côté maternel : ils représentaient donc le choix du choix parmi les privilégiés de France, et comme