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l’homme et la terre. — contre-révolution

règne et de ministère. Même c’est par l’entremise d’un gouvernement conservateur que fut votée la mesure la plus populaire de cette époque, celle qui abolissait ou réduisait à peu de chose les droits d’entrée sur les céréales et qui donnait à l’ensemble du commerce britannique l’idéal du libre échange. Ceci plaçait franchement la Grande Bretagne en tête de toutes les nations civilisées et lui assurait une sorte d’hégémonie morale, qui devait paraître méritée pendant un demi-siècle. Des écrivains se laissèrent même aller à imaginer une prétendue loi d’après laquelle toute révolution pouvait être désormais conjurée. Il devait suffire d’imiter l’aristocratie britannique dans l’art de céder avec une lenteur savamment calculée aux exigences des masses bourgeoises et populaires, de façon à les diriger toujours et à gagner en ascendant ce que l’on perdait en privilèges. Mais ces admirateurs quand même de la sagesse britannique oubliaient que ces réformes temporisatrices ne remédiaient nullement aux maladies chroniques de l’organisme national, que l’Irlande restait asservie à une ligue de grands seigneurs qui n’avaient pas même le courage de résider sur leurs terres, que l’Inde pullulante et affamée était toujours la chose d’une âpre compagnie de marchands et qu’en Angleterre, sous la merveilleuse prospérité d’en haut, les misères d’en bas continuaient de ronger les foules, quoique pourtant à un moindre degré qu’à l’époque des formidables guerres de l’Empire.

Le gouvernement français, engagé dans une voie différente que celle des ministres anglais, avait surtout à se faire pardonner ses origines révolutionnaires : pour entrer en égal dans l’assemblée des rois, Louis-Philippe devait fournir d’amples gages de sagesse conservatrice et se retourner énergiquement contre ses anciens complices. Il n’y manqua point, et la première décade de son règne fut employée principalement à susciter des émeutes pour avoir à les réprimer. En même temps il avait recours au moyen habituel de corruption en détournant l’attention publique vers une guerre de conquête, d’ailleurs sans grand danger. Déjà quelques jours avant la révolution de juillet, une flotte française avait débarqué dans le voisinage d’Alger des troupes qui s’étaient portées rapidement sur la ville, en dispersant ses défenseurs, et avaient mis un terme au gouvernement des souverains corsaires. Cette bizarre principauté qui, depuis plus de trois siècles,